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LIVRE VI.


CHAPITRE PREMIER.


L’adresse et l’artifice ont passé dans mon cœur :
Qu’on a sous cet habit et d’esprit et de ruse !

(Regnard.)


Par une belle matinée du mois de juillet, un monsieur, arrivé de la veille en Angleterre après une absence de plusieurs années, suivait, lentement et en rêvant, ce carrefour superbe qui relie dans Londres le parc du Régent à celui de Saint-James.

C’était un homme qui, avec de grands moyens, avait dissipé sa jeunesse dans une espèce d’existence errante et vagabonde, mais chez qui l’amour du plaisir commençait à s’user, et à céder la place à un sentiment d’ambition naissante.

« C’est étonnant comme cette ville s’est embellie, se disait-il. Toute chose est sûre de faire son chemin dans ce monde, avec un peu d’énergie et de mouvement ; et tout le monde, aussi bien que toutes choses. Mes anciens camarades (des gaillards qui n’avaient pas, à beaucoup près, autant de mérite que moi) sont tous dans une belle position. Voilà Tom Stevens, mon souffre-douleur à Eton (quel petit pleurnicheur ça faisait !), qui vient d’être nommé sous-secrétaire d’État. Pearson, dont je faisais tous les devoirs, est maintenant proviseur d’un collége ; il édite des tragédies grecques, et il est inscrit pour un évêché. Je vois d’après les journaux que Collier est très-haut placé dans la magistrature, et qu’Ernest Maltravers (mais lui, il avait quelque talent), s’est fait une grande réputation. Et me voici, moi, qui vaux tous ces gens-là réunis, n’ayant rien fait que dépenser la moitié de ma petite fortune, en dépit de toute