Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colère qui ressemblait beaucoup à un juron, il fit faire une courbe à son attelage, et repartit. Mais ce court moment d’arrêt avait suffi.

« C’est elle… c’est bien elle ! Ô ciel, c’est Alice ! » murmura Maltravers.

Tout semblait tourner autour de lui ; épuisé, presque sans connaissance, il s’appuya à la colonne d’un réverbère qui se trouvait près de là pour ne pas tomber. Mais tout à coup son cœur frémit à la pensée soudaine qu’il allait la perdre de vue pour jamais, et par un effort plein d’angoisse il recouvra l’usage de ses sens. Il s’élança comme un insensé à la poursuite de la voiture. Mais il y avait un grand nombre d’autres équipages, sans compter une foule immense de piétons : car les grands et les riches se rendaient en foule à cette église ; c’était une diversion fashionable à la monotonie du dimanche. Après une course fatigante et périlleuse, pendant laquelle il avait failli être écrasé trois fois, Maltravers s’arrêta enfin, épuisé et désespéré. Pendant plusieurs mois, il alla tous les dimanches à la même chapelle, mais en vain. Vainement aussi, il fréquenta tous les rendez-vous du plaisir et de l’opulence. Il ne revit plus Alice Darvil !


CHAPITRE XIII.

Dites-moi, monsieur, avez-vous fait le compte de votre fortune, avez-vous évalué vos terres, et trouvez-vous que vous puissiez supporter cette charge ?
(Le noble gentilhomme.)

Par degrés, à mesure que se calmait chez Maltravers le premier ébranlement de cette rencontre inattendue, et le désappointement prolongé qui la suivit, il sentit une espèce de bonheur ou de contentement étrange s’emparer de lui. Alice n’était pas dans la misère ; elle ne mangeait pas le pain amer du vice ; elle ne gagnait pas le pénible salaire de la pénurie laborieuse. Il la voyait dans une position honnête, et même opulente. Un fardeau, qui comme un cauchemar douloureux, au milieu des plaisirs de la jeunesse et des triomphes de la littérature, avait souvent pesé sur son cœur, en était à présent