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différence), vous avez acquitté cette dette, je viens vous la rembourser. Voici un bon pour la somme que je vous dois. J’ai fini, monsieur. Je vous souhaite le bonjour, et une bonne sauté pour jouir de votre réputation.

— Mais, Cesarini, c’est de la folie !

— Monsieur…

— Oui, c’est de la folie ; car il n’y a pas de folie plus grande que de repousser l’amitié, dans un monde où l’amitié est si rare. Vous avez l’air de croire que c’est à moi qu’il faut s’en prendre si votre ouvrage a souffert de quelque négligence. Votre éditeur pourra vous dire au contraire que je me suis plus inquiété de votre livre, que je ne l’ai jamais fait des miens.

— Et la preuve, c’est qu’on en a vendu quarante-neuf exemplaires !

— Asseyez-vous Castruccio ; asseyez-vous et écoutez la raison. »

Et Maltravers se mit à expliquer, à encourager, à consoler. Il rappela au pauvre poëte que ses vers étaient écrits dans une langue étrangère ; que même les poëtes anglais de grande réputation vendaient difficilement leurs ouvrages ; qu’il était impossible de faire acheter à un public avare des choses auxquelles un public stupide ne s’intéresse pas ; en somme il se servit de tous les arguments qui s’offraient naturellement à lui comme les plus propres à convaincre et à apaiser Castruccio ; et il le fit avec tant de sympathie et de bonté, qu’à la fin l’Italien ne pouvait plus justifier son ressentiment. Une réconciliation s’opéra, sincère de la part de Maltravers, politique de la part de Cesarini ; car l’auteur désappointé ne pouvait pardonner les succès de l’auteur en vogue.

« Et combien de temps comptez-vous rester à Londres ?

— Quelques mois.

— Envoyez chercher votre bagage, et soyez mon hôte.

— Non ; j’ai loué un logement qui me convient. Je suis né pour la solitude.

— Néanmoins, pendant votre séjour ici vous irez dans le monde ?

— Oui, j’ai plusieurs lettres de recommandation, et on m’a dit que les Anglais savent honorer le mérite, même chez un Italien.

— On vous a dit vrai, et dans tous les cas, il sera amusant pour vous de voir nos hommes éminents. On vous recevra