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ramenait causer à côté de moi. Nous nous revîmes enfin tout à coup, quand nous ne nous y attendions pas. Je vis que vous ne m’aimiez plus, et cette pensée terrassa toutes mes résolutions : l’angoisse dompte les nerfs de l’esprit, comme la maladie dompte ceux du corps. Et ainsi, je m’oubliai, je m’humiliai, et j’aurais pu me perdre. Des pensées plus justes et meilleures se sont réveillées en moi, et quand nous nous reverrons, je serai digne de votre respect. Je vois combien sont dangereux ces écarts de la pensée, ce péché du mécontentement, auxquels je m’étais abandonnée. Je rentre dans la vie, résolue de vaincre tout ce qui peut nuire à ses droits et à ses devoirs. Le ciel vous conduise et vous conserve, Ernest ! Souvenez-vous de moi comme d’une personne que vous ne rougirez pas d’avoir aimée ; que vous ne rougirez pas de présenter un jour à votre femme, car avec tant de tendresse et de grandeur dans le caractère, vous n’avez pas été créé comme moi… pour vivre seul.

Adieu ! »

Maltravers lut et relut cette lettre ; et quand il arriva chez lui, il la serra soigneusement parmi les souvenirs auxquels il attachait le plus de prix. Il la plaça à côté d’une boucle de cheveux d’Alice, et il ne pensait pas que l’une ni l’autre fût déshonorée par ce contact.

Il retourna, quoiqu’il lui en coûtât un effort, vers ces relations sévères, mais élevées qui unissent la littérature à la vie réelle. Peut-être y avait-il un certain trouble inquiet dans son cœur qui le poussait à tenir son esprit continuellement occupé. Cette année-là fut une des plus laborieuses de sa vie ; celle où il fit le plus pour aiguiser la jalousie, et confirmer sa réputation.