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comme la mort, sentant que sa vie s’était pétrifiée, que sa jeunesse, ses espérances, son bonheur étaient perdus à tout jamais ! Elle ne vit qu’une chose ; Ernest aux genoux d’une autre femme ! C’était donc pour en venir-là qu’elle lui était restée fidèle au milieu des tempêtes et de la désolation ; c’était donc pour en venir là qu’elle avait espéré, rêvé, vécu ! Ils ne la virent pas, ils ne l’entendirent pas. Et Ernest, qui serait allé pieds nus jusqu’au bout du monde pour la retrouver, était dans la même chambre qu’elle et ne le savait pas !

« Dites-moi encore que vous m’aimez ! dit Valérie, très-bas.

— Ô ma bien aimée Valérie, écoutez-moi. »

Ces mots suffirent à celle qui écoutait ; elle se retira sans bruit : son cœur, avec toute son humilité, était fier en même temps. La porte se referma sur elle ; elle avait obtenu le vœu de tout son être ; le ciel avait entendu sa prière ; elle avait revu l’amant de sa jeunesse, et désormais tout était nuit et ténèbres autour d’elle. Que lui importait dorénavant ce qu’elle deviendrait ? Quelle influence un moment a quelquefois sur la destinée de bien des années ! Un seul moment ! La vertu, le crime, la gloire, la honte, la douleur, l’allégresse, dépendent d’un moment ! La mort même n’est qu’un seul moment, et pourtant l’éternité lui succède.

« Écoutez-moi ! continua Ernest, sans se douter de ce qui venait de se passer, écoutez-moi ; soyons, ce que la nature humaine, et les conventions du monde permettent rarement que soient deux personnes de sexe différents ; soyons amis l’un de l’autre, et soyons amis de la vertu aussi. Soyons amis malgré le temps et l’absence, amis en dépit des vicissitudes de la vie, de ces amis dont l’affection n’est jamais ternie par la honte ni le remords, de ces amis qui doivent se retrouver plus tard. Oh ! il n’y a pas d’attachement plus vrai, de lien plus sacré que celui qui est fondé sur la vieille chevalerie de la loyauté et de l’honneur ; c’est là ce que serait l’amour, si le cœur et l’âme étaient dégagés de l’argile terrestre. »

Il y avait dans la physionomie d’Ernest, une expression si noble, dans sa voix une inflexion si pénétrante, que Valérie fut ramenée sur-le-champ à la nature qu’avait vaincue un moment de faiblesse. Elle le considéra d’un regard plein d’admiration et de reconnaissance, et lui dit avec calme, mais presque à demi-voix :

« Ernest, je vous comprends ; oui, votre amitié m’est plus précieuse que votre amour. »