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mais avec une profonde, une éternelle, une sainte tendresse, ne me parlez pas ainsi. Ne me laissez pas croire que vous êtes malheureuse ; laissez-moi penser que, remplie de sagesse, d’intelligence et de charmes comme vous l’êtes, vous avez employé tous ces dons à vous réconcilier avec le sort commun qui vous est échu en partage. Que je puisse élever mes regards vers vous, lorsque je me sens saisi de mépris pour la société au milieu de laquelle vous vivez, et me dire : sur ce piédestal il est encore un autel auquel je puis porter les offrandes de mon âme !

— C’est en vain… c’est en vain que je lutte, dit Valérie, à demi suffoquée par l’émotion, et joignant les mains avec délire. Ernest, je vous aime toujours… je suis navrée de penser que vous ne m’aimez plus. Je ne voudrais rien vous donner ; et pourtant j’exige tout ! Ma jeunesse se passe… ma beauté se flétrit… mon intelligence même s’étiole dans la vie que je mène ; et pourtant je vous demande de me rendre ce que votre jeune cœur éprouvait jadis pour moi ! Méprisez-moi, Maltravers, je ne suis pas ce que vous pensiez… je suis une hypocrite !… Méprisez-moi !

— Non, dit-Ernest, en ressaisissant la main de Valérie, et en mettant un genoux en terre à côté d’elle. Non, Valérie : ô vous que je n’oublierai jamais, vous que je respecterai toujours, écoutez-moi.

En parlant il baisait la main qu’il tenait, tandis que Valérie se couvrait le visage de l’autre main, et pleurait amèrement, mais en silence. Ernest attendit jusqu’à ce que cette violente émotion fût calmée, tenant toujours la main de Valérie dans la sienne, et la réchauffant de ses baisers : baisers plus purs que n’en déposa jamais chevalier sur la main de sa souveraine.

En ce moment la porte qui communiquait avec l’autre chambre s’ouvrit doucement : une femme,… une femme plus jeune et plus belle que Valérie de Ventadour entra ; le silence l’avait trompée ; elle croyait trouver Maltravers tout seul. Elle était entrée le cœur sur les lèvres ; l’amour, un amour confiant, un amour plein d’espoir, faisait battre ses artères, inondait sa pensée ; elle était entrée, rêvant que, lorsqu’elle aurait franchi le seuil de cette porte, une vie nouvelle allait luire pour elle, que tout dans son existence allait redevenir radieux comme au temps où l’air même qu’elle respirait était plein d’enivrements. Elle était entrée… et maintenant elle restait là debout, immobile de terreur, le regard fixe, le visage pâle