Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment de silence, nous ne nous reverrons peut-être pas d’ici à bien des années. M. de Ventadour doit être nommé ambassadeur à la cour de***, et ainsi… et ainsi… Allons ! il importe peu. Qu’est devenue l’amitié que naguère nous nous sommes jurée l’un à l’autre ?

— Elle est ici, dit Maltravers, en posant la main sur son cœur. Ici, du moins, subsiste encore cette moitié d’amitié qui avait été confiée à ma garde ; et il y a là plus que de l’amitié, Valérie de Ventadour ! il y a du respect, de l’admiration, de la reconnaissance. À une époque de la vie où la passion et l’imagination, dans leur plus grande force, auraient pu faire de moi un voluptueux, un oisif, un homme sans valeur, vous m’avez convaincu qu’il y a de la vertu dans le monde, et que la femme est une créature trop noble pour être notre jouet ; l’idole d’aujourd’hui, la victime de demain. Votre influence, Valérie, a fait de moi un penseur plus sérieux, et, je l’espère, un homme meilleur.

— Ah ! soyez béni pour ce que vous venez de me dire ! fit madame de Ventadour, fort émue ; vous ne pouvez savoir, vous ne pouvez deviner ce que vos paroles ont de douceur pour moi. Maintenant je vous reconnais. Oh ! combien, combien ma résolution m’a coûté ! Mais à présent je suis récompensée. »

Ernest se sentit attendri par l’émotion de Valérie et par les souvenirs qu’elle venait de réveiller en lui. Il lui prit la main, et la pressant avec une tendresse franche et respectueuse :

« Je ne pensais pas, Valérie, dit-il, quand je récapitulais le passé, je ne pensais pas que vous m’eussiez aimé ; je n’avais pas assez de vanité pour le croire. Mais, s’il en était ainsi, combien la noblesse de votre caractère vous élève encore à mes yeux ! Que votre vertu fut prévoyante ! Qu’elle fut sage ! Nos sentiments actuels l’un pour l’autre sont bien meilleurs, bien plus heureux pour tous deux que si nous eussions cédé à un court et criminel rêve de passion, en guerre avec tout ce qui laisse la passion sans remords, et le bonheur sans mélange. Maintenant….

— Maintenant, interrompit Valérie vivement, et en fixant sur lui ses yeux noirs, maintenant vous ne m’aimez plus ! Eh bien ! il vaut mieux qu’il en soit ainsi ! Je reprendrai ma vie triste et froide, et je tâcherai d’oublier encore une fois que le ciel m’avait donné un cœur !

— Ah ! Valérie ! vous que j’estime, que je révère, que j’aime toujours, non pas, il est vrai, de l’amour brûlant d’autrefois,