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vêtements pauvres et usés, qui semblait poursuivre avec effort sa route pénible. Il allait la dépasser aussi, lorsqu’il entendit un cri étouffé. Il se retourna et reconnut dans la voyageuse sa libératrice de la nuit précédente.

« Grands dieux, est-ce vous ? Puis-je en croire mes yeux ?

— J’allais vous retrouver, monsieur, dit languissamment la jeune fille. Moi aussi je me suis enfuie, je ne retournerai jamais auprès de mon père. Je n’ai plus d’abri où reposer ma tête, maintenant.

— Pauvre enfant ! Mais que s’est-il passé ? Vous ont-ils mal traitée parce que vous m’aviez sauvé ?

— Mon père m’a jetée par terre, et il m’a battue de nouveau quand il est revenu ; mais ce n’est pas tout, ajouta-t-elle, à voix très-basse.

— Que vous a-t-il fait encore ? »

La jeune fille rougit et pâlit tour à tour. Elle serra fortement les dents, s’arrêta, puis se remit à marcher plus vite qu’auparavant, en disant :

« N’importe ! Je n’y retournerai jamais !… Je suis seule à présent. Que vais-je devenir ? »

Et elle se tordait les mains avec angoisse.

Le voyageur fut ému de compassion.

« Ma chère enfant, dit-il avec intérêt, vous m’avez sauvé la vie, et je ne suis pas ingrat. Tenez (il lui mit quelques pièces d’or dans la main), procurez-vous un logement, de la nourriture, et reposez-vous ; vous paraissez en avoir besoin. Vous viendrez me retrouver ce soir quand il fera nuit, et que nous pourrons causer ensemble sans être observés. »

La jeune fille prit machinalement l’argent, et leva les yeux vers lui, pendant qu’il parlait ; son air était si ingénu, toute l’expression de sa physionomie était si parfaitement modeste et virginale, que, si les dernières paroles du voyageur avaient été suggérées par quelque mauvaise pensée, elle avait dû s’enfuir honteuse et troublée devant ce regard candide.

« Ma pauvre enfant, dit-il avec embarras, après un intervalle de silence ; vous êtes bien jeune, et surtout bien jolie. Dans cette ville vous serez exposée à beaucoup de tentations. Faites attention où vous logerez ; vous avez sans doute des amis ici ?

— Des amis ? Qu’est-ce que c’est que cela ? répondit Alice.

— N’avez-vous pas de parents ?

— Non.