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« Comment ? s’écria l’hôte ; Alice ici ! par l’enfer et le diable, l’auriez-vous fait partir ?

— Je vous avais dit que vous ne lui feriez pas de mal. »

Avec une imprécation affreuse, le scélérat frappa sa fille, la renversa, sauta par-dessus son corps, ouvrit la porte, et, suivi de son camarade, se mit à la poursuite incertaine de sa victime qui venait de lui échapper.


CHAPITRE III.

Vous saviez mieux que personne que ma fille s’était enfuie.
(Shakspeare. Le Marchand de Venise, acte III, scène i.)

Le jour commençait à poindre ; c’était une matinée douce, humide et brumeuse ; les pieds s’enfonçaient profondément dans le sol détrempé ; une boue épaisse couvrait les routes, et la pluie de la nuit précédente avait laissé çà et là de larges flaques d’eau. Aux abords de la ville, des charrettes, des voitures de roulage, des groupes de piétons, étaient déjà en mouvement ; et, de temps à autre, on entendait le son aigu d’une trompe, annonçant le passage de quelque voiture matinale, qui roulait sur cette grande route du Nord ses voyageurs d’impériale et d’intérieur, emmitouflés dans leurs manteaux et leurs bonnets de nuit.

Un jeune homme franchit d’un bond la barrière d’un champ, et s’élança sur la route, précisément en face d’une borne qui lui indiquait que la distance d’un mille le séparait encore de la ville de ***.

« Dieu merci ! dit-il presque à haute voix. Après avoir passé la nuit à errer comme un feu follet dans des marécages, je me trouve enfin près de la ville. J’en rends grâces au ciel, qui m’a si visiblement protégé pendant cette nuit. Je respire enfin, je suis sauvé ! »

Il se mit à marcher avec une certaine rapidité ; il dépassa une lourde charrette ; il dépassa un groupe d’ouvriers ; il dépassa un troupeau de moutons, et il se trouva derrière une femme seule, qui s’acheminait lentement. C’était une jeune fille, aux