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servir des armes confiées à ses mains. Peu à peu on apprit à le craindre aussi bien qu’à le connaître ; bien des gens l’injuriaient, mais nul ne pouvait le mépriser.

Il ne serait pas dans le plan de cet ouvrage de suivre Maltravers pas à pas dans sa carrière. Je ne fais que décrire les principaux événements, et non les petits détails de sa vie intellectuelle. Quant au caractère de ses ouvrages, il suffira de dire que, quels qu’en fussent les défauts, ils étaient originaux ; ils étaient bien de lui. Il ne copiait pas en écrivant, et ne compilait pas d’après des œuvres banales. Il était artiste c’est vrai ; car le génie lui-même n’est-il pas de l’art ? Mais il puisait les règles, l’harmonie, l’ordre de ses compositions dans le grand code de la vérité et de la nature ; code infini qui exige une étude sérieuse et sans relâche, quoique les premiers principes en soient simples et peu nombreux. Maltravers ne recula pas devant cette étude. C’était un ardent amour pour la vérité qui faisait de lui un subtil et profond analyste, même dans les sujets que le monde inintelligent regarde comme des bagatelles ; car il savait qu’en fait de littérature, il n’y a pas de bagatelles, et que souvent il n’y a que l’épaisseur d’un cheveu entre une niaiserie et une découverte. Il était original parce qu’il recherchait le vrai plutôt que le nouveau. Il n’y a pas deux esprits qui soient semblables ; ainsi tout homme qui énonce clairement et franchement le résultat de ses impressions, dégagé des servilités de l’imitation, est original. Mais ce n’était pas à son originalité, qui était pourtant son mérite capital, que Maltravers devait sa réputation ; car son originalité n’était pas de ce genre qui éblouit généralement le vulgaire. Elle n’était ni extravagante, ni bizarre : il n’affectait ni système, ni école. Aux yeux des gens superficiels bien des auteurs contemporains semblaient plus nouveaux, plus uniques. La composition, lorsqu’elle est d’une nature profonde et durable, procède par gradations fines et subtiles ; elle n’a jamais recours à ces soubresauts et à ces saccades, à ces convulsions et à ces violences, qui sont le propre, non d’une littérature saine et vigoureuse, mais d’une littérature épileptique et maladive.