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triomphes de la science comme de l’art ; que Newton et Copernic n’auraient rien fait s’ils n’avaient pas imaginé aussi bien que raisonné, deviné aussi bien que prouvé. Il avait la plus implicite confiance dans les opérations d’un esprit et d’un cœur bien faits, et il estimait que, chez des hommes suffisamment préparés par l’expérience et par l’étude, les excès mêmes de l’émotion et de la pensée peuvent amener de grands et utiles résultats. Mais l’âge plus avancé et le caractère singulièrement pratique des opinions de de Montaigne lui donnaient sur Maltravers une supériorité d’argumentation, à laquelle ce dernier se soumettait involontairement ; tandis que de son côté, de Montaigne sentait en secret que son jeune ami raisonnait d’après une base plus large, qu’il embrassait une circonférence plus étendue ; et que s’il était par cela même plus sujet aux égarements et à l’erreur, il était aussi plus capable de nouvelles découvertes et de conquêtes intellectuelles. Mais comme les routes qu’ils suivaient tous deux dans le monde étaient diverses, il n’y avait pas de collision entre eux ; et de Montaigne, qui s’intéressait sincèrement à la destinée d’Ernest, se contentait de fortifier l’esprit de son ami contre les obstacles qu’il devait rencontrer, laissant le reste à l’expérience et à la Providence. Ils allèrent jusqu’à Londres ensemble, et de Montaigne s’en retourna à Paris. Maltravers reparut dans les réunions du grand monde et les assemblées de plaisir. Il sentit que son nouveau rôle avait grandement changé sa position. On ne le courtisait plus, on ne le flattait plus, comme avant, pour les mêmes causes fortuites et vulgaires de la fortune, de la naissance et de la position, mais pour d’autres raisons qui ne lui semblaient guère plus flatteuses. On ne le recherchait pas pour son mérite, son intelligence, son savoir ; mais pour sa célébrité momentanée. Il avait la vogue, et on courait après lui, comme on aurait couru après toute autre chose à la mode. On l’invitait moins pour causer avec lui, que pour le regarder. Son caractère était beaucoup trop fier, son ambition beaucoup trop pure, pour que sa vanité fût flattée de partager l’enthousiasme excité par un prince allemand, ou par une puce savante. Par conséquent il repoussa bientôt les avances qu’on lui faisait ; il se montra réservé et froid vis-à-vis des belles dames ; il ne voulut pas être la bête curieuse du moment, et perdit toute popularité parmi les exclusifs de la littérature. Ces derniers, mécontents de l’auteur, commencèrent à dénigrer ses ouvrages. Mais Maltravers avait assis ses observations et ses expériences sur la