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CHAPITRE VI.

Quand, avec beaucoup de peine, on a acquis ce savoir tant vanté, c’est un affront pour ceux qui ne l’ont pas.
(Churchill. L’Auteur.)

Il y avait quelque chose dans la conversation de de Montaigne qui, sans flatterie positive, réconciliait Maltravers avec lui-même et avec sa carrière. Son esprit en était peut-être moins stimulé, que calmé et fortifié. De Montaigne n’eût jamais rendu un homme téméraire, mais il eût rendu bien des hommes énergiques et persévérants. Les deux amis avaient certains points de ressemblance ; cependant Maltravers avait bien plus de la prodigalité d’une nature exubérante et passionnée ; il avait plus de chair et de sang ; mais s’il en avait les avantages il en avait aussi les défauts. De Montaigne tenait tant à sa doctrine favorite de l’équilibre moral, que dans beaucoup de choses il était parvenu à faire de lui-même une espèce de mécanisme d’horloge. Comme les impulsions se forment d’après les habitudes, il s’ensuit que la régularité des habitudes de de Montaigne rendait ses impulsions vertueuses et justes ; et il y cédait aussi souvent qu’aurait pu le faire un caractère ardent ; mais aussi ces impulsions ne le précipitaient jamais dans une entreprise hasardeuse ni téméraire. De Montaigne ne pouvait aller au delà d’un certain cercle d’action défini. Il n’avait aucune sympathie pour les raisonnements basés purement sur les hypothèses de l’imagination : il ne pouvait souffrir Platon, et il était sourd aux murmures éloquents de tout ce qu’il y avait de raffiné dans la poésie, ou de mystique dans la sagesse.

Maltravers, au contraire, sans dédaigner la raison, cherchait toujours à lui prêter le secours de l’imagination, et considérait que toute philosophie qui borne ses recherches aux limites de ce qui est connu et certain, est incomplète et laisse à désirer. Il aimait le procédé de l’induction ; mais il s’étendait à la conjecture aussi bien qu’au fait. Il soutenait que c’est par une hardiesse d’esprit de ce genre qu’ont été accomplis tous les