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attaque qu’un petit nombre, et rarement encore. Mais il est d’une sage politique qu’il fasse voir qu’il ne fait pas bon à le persécuter. L’écrivain a toujours le monde de son côté contre les critiques, s’il sait choisir son moment. Et il faut qu’il se souvienne toujours qu’il est par lui-même un état qui doit savoir quelquefois aller en guerre, ne fût-ce que pour avoir la paix. Quant au moment de faire la guerre ou la paix, c’est ce qu’il faut laisser décider à la diplomatie et à la sagesse de l’État.

— Vous voudriez faire de nous des machines politiques.

— Je voudrais que la conduite de chaque homme fût plus ou moins mécanique ; car l’organisation systématique, c’est le triomphe de l’esprit sur la matière ; le juste équilibre de toutes les facultés et de toutes les passions peut ressembler à du mécanisme. Soit ! La nature a voulu que le monde, la création, l’homme même, fussent des machines.

— Vous verrez que la colère sera aussi réglée par une mécanique comme le reste, s’il fallait en croire vos théories.

— L’homme qui n’est pas en colère quelquefois est un pauvre être ; mais c’est un être très-injuste et très-insensé, si sa colère se trompe d’objet et qu’elle choisisse tout de travers le lieu, le temps et les moyens. Mais en voilà assez, il commence à se faire tard.

— Et quand madame viendra-t-elle en Angleterre ?

— Oh ! pas encore de longtemps, je crains. Mais vous verrez Cesarini à Londres cette année, ou l’année prochaine. Il est persuadé que vous ne vous êtes pas occupé de faire rendre justice à ses poésies, et il compte venir ici, aussitôt que son indolence le lui permettra, pour proclamer votre perfidie dans la mordante préface de quelque satire édentée.

— Une satire !

— Oui, plus d’un poëte chez vous a fait son chemin grâce à une satire, et Cesarini est convaincu qu’il en fera autant. Castruccio n’a pas la vue aussi longue que son homonyme, le prince de Lucques. Bonsoir, mon cher Ernest. »