Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

régions de l’esprit et de l’art pour y trouver le pain de chaque jour ; non-seulement en littérature, mais en toute autre chose du même ordre. Il ne doit être ni homme d’État, ni orateur, ni philosophe pour gagner de l’argent : et c’est ce qu’en général tous les hommes, excepté le poëte pauvre, finissent insensiblement par reconnaître vrai.

— Tout cela est fort beau en paroles, dit Maltravers, mais vous pouvez être assuré que la carrière littéraire est une carrière en dehors des intérêts ordinaires de l’existence, et qu’il est impossible d’en combiner les jouissances avec les autres dont vous parlez.

— Je ne suis pas du même avis, dit de Montaigne ; mais ce n’est pas dans une terre située à quatre-vingts milles de la capitale, sans femme, sans société, sans amis qu’on peut en faire loyalement l’expérience. Allons, Maltravers, je vois devant vous une belle carrière, et je ne puis pas vous permettre de vous arrêter au début.

— Vous ne voyez pas toutes les calomnies auxquelles je suis déjà en butte, sans compter toutes les déclarations (faites souvent par des hommes de mérite), que je ne suis capable de rien !

— Dennis était un homme de mérite, et il en a dit autant de votre Pope. Mme de Sévigné, était une femme de mérite, ce qui ne l’a pas empêchée de croire que Racine ne serait jamais célèbre. Dans les premiers essais de Dryden, Milton ne trouvait rien qui lui fît prévoir que Dryden dût jamais être autre chose qu’un rimailleur. Aristophane était bon juge en poésie, et pourtant comme il jugea mal Euripide ! Ce sont là des lieux communs, sans doute, mais vous avancez des arguments auxquels il faut bien répondre par un lieu commun en témoignage contre vous-même.

— Mais vous m’avouerez qu’il n’est pas agréable de ne pas rendre attaques pour attaques, de ne pas se venger de ses ennemis.

— Eh bien, alors, répondez aux attaques et vengez-vous de vos ennemis.

— Mais serait-ce sage ?

— Si cela vous fait plaisir ! moi, cela ne me plairait pas.

— Allons, de Montaigne, vous raisonnez socratiquement. Je vous demanderai clairement et simplement, si vous conseilleriez à un auteur de déclarer la guerre à ses assaillants littéraires, ou de les dédaigner ?

— Je lui conseillerais de faire l’un et l’autre ; qu’il n’en