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CHAPITRE V.

Quid tam dextro pede concipis ut te
Conatus non pœniteat, votique peracti[1] ?

(Juv.)

« Oui, disait de Montaigne, à ma manière, moi aussi j’accomplis ma destinée. Je suis membre de la chambre des Députés, et je suis venu en Angleterre pour quelques affaires commerciales. Je me suis trouvé dans votre voisinage, et naturellement, je n’ai pu résister à la tentation de vous voir ; ainsi il faut que vous me donniez l’hospitalité pendant quelques jours.

— Je vous félicite sincèrement de vos honneurs parlementaires. J’ai déjà entendu citer votre nom comme un nom qui sera célèbre.

— Et je vous renvoie vos compliments avec la même chaleur. Vous êtes entrain de réaliser mes prédictions. J’ai lu vos ouvrages, et je suis devenu de plus en plus fier de notre amitié. »

Maltravers soupira et détourna la tête.

« Le désir de s’illustrer, dit-il, après un moment de silence, s’empare de nous et finit par devenir une maladie. L’enfant qui est né avec la vocation de marin rit de joie quand sa barque de papier effleure la surface d’une flaque d’eau. Plus tard, pour le satisfaire, il lui faudra un vaisseau et l’Océan. L’écrivain est semblable à l’enfant.

— J’aime votre comparaison, dit de Montaigne en souriant. Ne la gâtez pas, mais continuez votre raisonnement. »

Maltravers continua :

« À peine a-t-on gagné l’approbation d’un moment, qu’on ressuscite le passé, qu’on anticipe sur l’avenir. On ne se contente plus de l’émulation de ses contemporains, du jugement de son siècle. On évoque les morts, comme ses seuls rivaux véritables ; on en appelle à la postérité comme au seul tribunal

  1. Quelle est la résolution formée sous d’aussi heureux auspices que vous n’ayez pas à vous repentir et du vœu et de son succès ?