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étaient survenus ; ce ne serait plus contre un seul homme qu’il aurait à lutter. Il respira avec effort, et il écouta, malgré le tintement de ses oreilles. Il entendit des pas au dehors, sur le sol détrempé ; ils s’éloignèrent… tout redevint tranquille.

Il s’arrêta quelques moments, puis il s’approcha d’un pied ferme de la porte intérieure, derrière laquelle il s’imaginait que son hôte veillait ; d’une main assurée il essaya d’ouvrir cette porte ; elle était fermée de l’autre côté.

« Ainsi, dit-il avec amertume, et en grinçant des dents, il faudra que je succombe comme un rat dans une trappe. Eh bien ! le rat mordra avant de mourir. »

Il revint à son ancien poste, se releva de toute sa hauteur, et tenant son arme grossière, il se prépara au combat. Il éprouvait une certaine satisfaction orgueilleuse en songeant à ses avantages naturels d’activité, de stature, de force et d’intrépidité. Les minutes s’écoulèrent. Le silence fut enfin interrompu par un bruit à la porte intérieure ; il entendit tirer doucement le verrou. Des deux mains il souleva son arme…, et recula en apercevant Alice devant lui. Elle entra, les pieds nus, pâle comme un marbre, et le doigt sur les lèvres.

Elle s’approcha… elle le toucha.

« Ils sont dans le hangar derrière la maison, dit-elle à voix basse, ils cherchent le marteau d’enclume ; ils veulent vous assassiner ; partez, partez… vite !

— Mais comment ? la porte est fermée.

— Attendez. J’ai pris la clef dans la chambre. »

Elle gagna la porte, mit la clef dans la serrure…, la porte céda. Le voyageur rejeta son havre-sac sur son épaule, et d’un bond franchit le seuil. La jeune fille l’arrêta :

« Vous n’en direz rien ; c’est mon père ; on le pendrait.

— Non, non. Mais vous, êtes-vous en sûreté ici ?… Comptez sur ma reconnaissance… Je serai à *** demain…, dans la meilleure auberge… Venez m’y trouver si vous pouvez ! De quel côté faut-il aller ?

— Toujours à gauche. »

L’étranger était déjà loin ; il fuyait dans les ténèbres, malgré la pluie, avec l’activité de la jeunesse. La jeune fille attendit un instant, soupira, puis rit tout haut ; elle referma la porte, et s’en retournait à tâtons, lorsque, à l’entrée intérieure, parut son terrible père, accompagné d’un autre homme court, large, nerveux, qui, les bras nus, brandissait un grand marteau.