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ture. Mais dès lors commencèrent pour Maltravers les douleurs et les périls de la récidive. Le premier effort d’un auteur lui suscite rarement des ennemis. Ses collègues ne sont pas encore disposés à le considérer comme un rival ; s’il est suffisamment riche, ils espèrent malgré eux, qu’il ne deviendra pas auteur régulier, ou, selon leur expression, auteur de profession ; il a publié quelque chose pour faire parler de lui ; il n’écrira peut-être plus, ou bien son second ouvrage peut ne pas réussir. Mais quand ce second ouvrage paraît, et qu’il réussit, alors ils regardent autour d’eux. L’envie se dresse, la méchanceté s’éveille. Toute l’ancienne école, composée d’écrivains émérites qui vivent en retraite sur leurs pensions de renommée, le regarde comme un intrus ; puis viennent la raillerie, et la malveillance, et l’ironie mordante, et la critique amère, et la louange insidieuse. Le novice commence à croire qu’il est plus loin du but que lors de son premier pas.

Maltravers était en somme doué d’un assez heureux caractère ; mais il était fier, et il avait l’âme susceptible d’un gentilhomme, courageux, pointilleux, plein d’honneur. Il trouvait singulier que la société le forçât, comme gentilhomme, à tuer son meilleur ami, si cet ami l’offensait par une parole injurieuse, et pourtant que comme auteur, le premier imbécile, ou le premier menteur venu pût couvrir des rames entières de papier des plus violentes invectives personnelles contre lui, et cela avec garantie d’une impunité complète.

Un soir, au commencement de l’été, Ernest, l’esprit préoccupé de doutes et de pensées inquiètes, arpentait tristement la terrasse de son jardin, contemplant d’un regard rêveur le coucher du soleil, lorsqu’il aperçut une voiture poudreuse, qui passa sur la route près de la haie du jardin, et à la portière une main s’agita en signe de reconnaissance. Maltravers recevait si peu de monde, il avait un si petit nombre d’amis, qu’il ne put deviner quel était le visiteur qui lui arrivait. Il savait que son frère était à Londres ; Cleveland, dont il avait eu des nouvelles le jour même, était à sa maison de campagne ; Ferrers s’amusait à Vienne. Qui était-ce donc ? On peut dire ce qu’on voudra de la solitude ; mais après deux années d’isolement, voir quelqu’un c’est une diversion bien agréable. Maltravers revint sur ses pas, rentra dans sa maison, et arriva juste à temps pour se trouver dans les bras de de Montaigne.