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perdu le charme de la nouveauté, mais qui a acquis la prépondérance d’une réputation acceptée, et qui, dans la politique ou dans la critique, cherche des occasions fréquentes et continues de faire prévaloir les thèses et les doctrines qui lui sont particulières. Mais ce moyen de communication, s’il est trop longtemps continué, est très-défavorable au jeune écrivain, en ce qu’il nuit à la fois à ses succès dans l’avenir, à son goût et à son style dans le présent. D’une part il familiarise le public avec sa manière (et tout auteur digne d’être lu a une manière qui lui est propre) sous une forme à laquelle le susdit public n’est pas disposé à attacher beaucoup d’importance. Il devance, dans l’espace de quelques mois, le triste résultat qui ne vient d’ordinaire qu’après plusieurs années d’épreuve ; il a bientôt fatigué un monde qui se lasse si vite du pâté d’anguilles. Pour satisfaire ces appétits blasés, il cherche dans sa manière d’écrire des effets de circonstance ; son style et ses idées se ressentent de ce faux brillant : son ambition ne va plus au delà du trente du mois ; il s’attend à se voir payer dès le lendemain le prix de son labeur ; il recule devant « le long espoir » des compositions sérieuses, sur lesquelles l’opinion publique est lente à se prononcer. Dans les écrits, comme dans la réputation d’un homme de talent, qui commence de bonne heure à travailler pour les journaux, et qui s’adonne pendant longtemps à ce genre de littérature, il y a généralement quelque chose d’inachevé, d’incomplet. Il devient l’oracle des petites coteries ; et rarement on se défait à son égard de l’idée préconçue que c’est une gloire de clinquant, une réputation de clique. Ce sont leurs articles périodiques qui ont écrasé d’hypothèques le vaste héritage de renommée solide auquel le talent d’Haylitt et de bien d’autres leur assurait sans cela les droits les plus sérieux. Mais j’en parle bien à mon aise ; à bien des gens, le besoin, le res angustæ domi ne laisse pas d’alternative. Et, comme disent Aristote et le proverbe grec, nous ne pouvons pas tailler toutes les plumes avec le canif du coutelier de Delphes.

Le second ouvrage que publia Maltravers, après un intervalle de dix-huit mois, avait un caractère plus sérieux et plus élevé : il servit à confirmer sa réputation ; et c’est là tout le succès nécessaire à un second ouvrage, qui sert généralement de Pons asinorum à un auteur. L’homme qui, après le triomphe d’un premier livre, ne mécontente pas le public dans le second, a toute chance d’acquérir une place fixe dans la littéra-