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rivages de Greenwich, Maltravers abandonna précipitamment la joyeuse capitale, et arriva, par une belle soirée du mois de juillet, devant le portique couvert de lierre de sa maison de Burleigh.

C’était une soirée douce, fraîche, délicieuse ! Il était descendu de voiture près de la loge du gardien, et il suivait son équipage seul et à pied à travers un parc petit, mais pittoresque. Il n’avait pas revu cette terre depuis son enfance, et il en avait complétement oublié l’aspect. Il se demandait maintenant comment il avait pu vivre ailleurs. Les arbres ne s’alignaient pas en majestueuses avenues, et le bois des cerfs ne se montrait pas au-dessus des sombres fougères ; ce n’était pas le domaine d’un grand seigneur, mais celui d’un simple squire anglais, de longue et vieille lignée. L’antiquité se révélait dans les palissades revêtues de mousse, dans les massifs épais, dans les pignons pointus, et les lourds entablements des fenêtres de la maison, qu’on apercevait à la base d’une colline boisée, cachée en partie par les buissons d’un jardin abandonné, séparé du parc par l’invisible Ha-Ha ! La surface limpide de l’étang oblong, avec ses vieux saules à chaque bout, réfléchissait les dernières lueurs du crépuscule ; ici se trouvait le cadran solaire monastique en pierre grise et de forme bizarre ; plus loin la longue terrasse ornée de vases décolorés et brisés, que le jardinier, en l’honneur de l’arrivée de son maître, avait garnis d’orangers et d’aloës, tirés de la serre chaude un peu délabrée. Les témoignages d’abandon, l’herbe qui envahissait la route et en cachait presque la trace, touchèrent Maltravers et lui firent éprouver une espèce d’affection, mêlée de compassion et de remords, pour cette résidence calme et isolée. Sa démarche n’était pas aussi fière, sa tête aussi haute que de coutume, lorsqu’il passa devant la haie formée par ses domestiques, pour se rendre du portique à la bibliothèque solitaire. Les deux ou trois vieux serviteurs appartenant à la maison ne le connaissaient pas, et n’avaient pas de sourire sur les lèvres pour saluer la venue du maître qui n’était pour eux qu’un étranger.