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tant de la littérature, bien qu’à un moindre degré, et quoiqu’il soit plus difficile, en pareil cas, de choisir ses connaissances, attendu que bien des personnes se soucient moins de littérature que de politique. Si vous êtes très-jeune, vous aimez la danse ; si vous êtes très-mauvais sujet, peut-être aimez-vous à faire la cour à la femme de votre ami. Ce sont-là, chacun dans son genre, des buts réels ; mais ils ne peuvent suffire longtemps, et même pour les plus frivoles, ce ne sont pas des occupations qui puissent satisfaire entièrement l’esprit et le cœur, où se trouvent généralement des aspirations vers quelque chose d’utile. Ce n’est pas sa vanité seule qui pousse l’homme à la mode à inventer un nouveau genre de mors, ou à donner son nom à un nouveau genre de voiture ; c’est l’influence de cette soif mystique de l’utile, qui forme un des principaux liens entre l’individu et son espèce.

Maltravers n’était pas heureux ; cela n’est pas rare ; mais en outre il ne s’amusait pas ; et c’est là une chose bien plus insupportable. Il perdit beaucoup de sa sympathie pour Cleveland, car lorsqu’un homme ne s’amuse pas, il éprouve un mépris involontaire pour les gens qui s’amusent. Il se figure que ceux-ci se plaisent à des bagatelles que sa sagesse supérieure lui fait dédaigner. Cleveland était à cet âge où l’on commence généralement à aimer le monde ; car, à force de se frotter longtemps et souvent, au contact de la grande pierre aimantée de la société, on finit, de mille côtés, par posséder certains points d’attraction en commun avec ses semblables. Leurs petites peines, leurs joies éphémères, leurs objets d’intérêt ou d’occupation ont été les nôtres à une époque quelconque de notre vie. On amasse ainsi une immense quantité de petite monnaie morale et mentale ; et l’on trouve rarement une intelligence si pauvre qu’on ne puisse, d’une façon ou d’une autre, trafiquer avec elle. Mais dans le temps de la jeunesse on est égoïste et sentimental, et Maltravers appartenait à cette confrérie d’individus qui ont le cœur tout rempli de passion, et l’esprit de poésie.

À la fin, juste au moment où Londres commence à devenir le plus agréable, où les propos galants tournent au sentiment, et où les parties de bateau deviennent plus nombreuses ; au moment où les oiseaux gazouillent dans les bosquets de Richmond, et où l’homme d’État se régale de whitebait[1] sur les

  1. Petit poisson qu’on ne trouve, dit-on, qu’à l’embouchure de la Tamise.