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avec ce dernier une cordiale poignée de main, puisqu’il est convenu que les Anglais ne s’embrassent pas.

« Eh bien, mon cher Ernest, dit Cleveland, après avoir épuisé les questions et les réponses préliminaires, vous voilà donc enfin ! Le ciel en soit loué ! Que vous avez bonne mine ; et combien vous avez changé à votre avantage ! Le moment est parfaitement choisi pour faire vos débuts à Londres. J’aurai le temps de vous présenter à plusieurs personnes avant que le tourbillon de la saison commence.

— Mais, je pensais partir pour ma terre de Burleigh. Je ne l’ai pas visitée depuis mon enfance.

— Non, non ! Vous avez assez joui de la solitude à Côme, si j’en crois votre lettre ; il faut maintenant vous mêler au grand monde de Londres et votre terre de Burleigh ne vous en sera que plus agréable cet été.

— J’imagine que ce grand monde de Londres me procurera fort peu de plaisir ; cela peut être assez amusant pour des jeunes gens qui viennent de quitter le collége. Mais vos bruyantes salles de bal, vos clubs monotones ne donneront que de l’ennui à un homme qui est blasé avant le temps. J’ai vécu beaucoup en peu d’années. Dans ma jeunesse j’ai tiré à trop gros intérêts sur le capital de l’existence, pour être bien charmé de la parcimonie orgueilleuse avec laquelle nos grands personnages économisent leurs plaisirs.

— Ne vous prononcez pas avant d’en avoir fait l’expérience, dit Cleveland. Il y a quelque chose qu’on ne saurait mépriser dans l’opulente splendeur, dans la magnificence soutenue, que les chefs du beau monde en Angleterre savent répandre dans les amusements même les plus insipides. D’ailleurs il n’est pas absolument obligatoire que vous viviez parmi les papillons. Il y a bon nombre d’abeilles qui seront charmées de faire votre connaissance. Ajoutez à cela, mon cher Ernest, le plaisir de devenir un… de devenir un homme d’importance dans votre patrie, car vous êtes jeune, bien né, et suffisamment beau pour être regardé comme un objet d’intérêt par les mères et les filles ; tandis que votre nom, votre fortune et la cupidité du monde vous feront courtiser par des hommes qui voudront vous emprunter de l’argent, et se servir de votre influence dans votre comté. Non, Maltravers, restez à Londres ; amusez-vous la première année, et décidez de vos occupations et de votre carrière l’année suivante. Mais surtout reconnaissez le terrain avant de livrer bataille.