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folâtres, que je ne déteste pas trop. Et maintenant, mon cher monsieur, je crains d’être obligé de mettre un terme à votre existence !

— Au nom du ciel ! que voulez-vous dire ? Comment ?

— Malheureux, souvenez-vous qu’il est un autre monde ! dit le brigand en contrefaisant l’accent solennel du banquier, lors de leur première entrevue. Tant mieux pour vous ! Dans ce monde-là on ne fait pas de révélations.

— Je vous jure que je ne vous trahirai jamais !

— En vérité ? jurez-le alors.

— Par toutes mes espérances sur la terre et dans le ciel !

— Quel fameux poltron vous faites ! dit Darvil en riant ironiquement. Allez-vous-en ; vous n’avez rien à craindre. J’ai retrouvé ma bonne humeur. Je triomphe de vous, car nul homme ne saurait me faire trembler, moi. Et, tout scélérat que je vous parais, puisque je vous fais peur, vous ne pouvez me mépriser ; vous me respectez. Allez-vous-en, vous dis-je, allez.

Le banquier était sur le point d’obéir, lorsque soudain, du côté de la meule, un large rayon de lumière rouge vint inonder les deux interlocuteurs, et presque instantanément Darvil était saisi par derrière, et luttait sous l’étreinte d’un homme presque aussi fort que lui. La lumière qui provenait d’une lanterne sourde placée sur le sol révéla la présence d’un paysan en blouse, et de deux hommes robustes, armés de pistolets, outre celui qui luttait avec Darvil.

Toute cette scène avait éclaté avec la rapidité de l’éclair, comme un coup de théâtre, comme un effet de fantasmagorie, aux yeux étonnés du banquier. Il s’était arrêté stupéfait, la main sur la bride, le pied dans l’étrier. Au même moment, Darvil avait précipité son antagoniste à terre ; debout à une petite distance, la figure illuminée par la lueur rouge de la lanterne, faisant face à ses assaillants, il offrait aux regards le spectacle de la plus féroce des bêtes sauvages, un homme désespéré aux abois ! Il avait déjà réussi à saisir ses pistolets et il en tenait un de chaque main ; ses yeux flamboyaient sous ses sourcils contractés, et se tournaient rapidement d’un assaillant à l’autre ! À la fin ces yeux terribles s’arrêtèrent sur l’homme qui venait d’être bien malgré lui le compagnon de sa solitude.

« Ainsi c’est vous qui m’avez trahi, dit-il très-lentement, et il dirigea son pistolet vers la tête du cavalier démonté.