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à la vitesse de quatorze milles à l’heure, sur sa haquenée au trot rapide.

— « Ce monsieur-là a un joli pur sang, dit le palefrenier en se grattant l’oreille.

— Mais oui ; qui est-ce donc ? dit un flâneur dans l’écurie.

— Je n’en sais rien. Il est déjà venu deux fois ici, et il ne prend jamais de poisson pour la peine ; à coup sûr, il faut qu’il aime joliment la pêche. »

Cependant le banquier franchissait l’espace ; la route fuyait sous les pas de son bon cheval qui trottait vaillamment, presque sans déranger un seul de ses crins. Mais la nuit s’épaississait de plus en plus, et il commença à tomber une de ces pluies fines et persistantes qui mouillent jusqu’aux os, avant qu’on ait eu le temps de s’en apercevoir. Un homme qui a passé la cinquantaine, et qui a une certaine tendresse pour sa personne, n’aime pas à se laisser mouiller. Le banquier était sujet aux rhumatismes, et la pluie lui inspira l’idée de raccourcir la route, en prenant à travers champs. Il y avait une ou deux haies peu élevées à franchir par ce chemin de traverse, mais le banquier y était venu au printemps et connaissait parfaitement le terrain. Le cheval sautait sans difficulté, l’écuyer montait bien, et ces deux milles de moins pouvaient justement lui épargner le rhumatisme qui le menaçait. Notre ami ouvrit donc la barrière d’un champ, et s’élança au travers des prairies sans se demander seulement s’il prenait un parti bien prudent. Il arriva au premier obstacle ; le sommet de la haie se laissait apercevoir indistinctement dans la demi-obscurité. De l’autre côté de la haie, à droite, se trouvait une meule de foin, et c’était près de cette meule que s’offrait l’endroit le plus favorable pour franchir l’obstacle. Or, depuis que le banquier était venu en ce lieu, on avait creusé au pied de la haie, de l’autre côté, un fossé profond servant au drainage du champ ; ni le cheval ni l’écuyer ne s’en doutaient, de sorte que le saut était bien plus périlleux qu’ils ne s’y attendaient. Donc, le banquier ne connaissant pas ce nouveau piège, mit son cheval au galop. Il était suspendu en l’air, les reins cambrés, les rênes desserrées, la main droite élevée savamment, lorsque le cheval s’effraya d’un objet étendu près de la meule de foin, se rejeta de côté, plongea au beau milieu du fossé, et lança son cavaliers à deux ou trois pas en avant. Le banquier se releva plus tôt qu’on n’aurait pu s’y attendre ; et se trouvant sain et sauf, bien qu’un peu ébranlé et contusionné