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l’autre, embellissait le paysage. Mais, après tout, il y a beaucoup d’hypocrisie dans l’admiration qu’on affecte en général pour la nature ; et je ne pense pas qu’il y ait une personne sur cent qui se soucie de ce qui se voit sur les côtés de la route, pourvu que la route elle-même soit bonne et bien nivelée, et que les droits de péage soient légers.

Il était midi, et le banquier avait fait bien des milles de chemin lorsqu’il tourna dans une verte avenue et accéléra le pas de son cheval. Au bout d’environ trois quarts d’heure, il arriva à une petite auberge isolée, à l’enseigne du « Pêcheur à la ligne ; » il fit mettre son cheval à l’écurie, commanda son dîner pour six heures, emprunta un panier pour mettre le poisson qu’il allait prendre ; et on put voir alors clairement qu’une assez longue canne qu’il avait apportée était susceptible de se métamorphoser, par extension, en ligne à pêche. Il en adapta les articulations avec soin, comme pour s’assurer que l’instrument n’avait éprouvé aucun accident en route ; il examina attentivement le contenu d’une boîte noire renfermant les fils à pêcher et les amorces ; il suspendit le panier derrière son dos ; et tandis que son cheval penchait la tête, agitait la queue, et se livrait à ces mille coquetteries sans nom que les chevaux prodiguent aux palefreniers, notre digne confrère de la ligne traversa rapidement plusieurs prairies, gagna le bord de la rivière, et commença à pêcher de l’air d’un homme qui prend le plus grand plaisir à ce passe-temps. Déjà il avait attrapé une truite (on eût dit que c’était accidentellement, car le poisson étonné avait été harponné sur le côté de la mâchoire, non pas dans le moment où il mordait, mais dans celui où il regardait l’hameçon) lorsqu’il devint mécontent de l’endroit qu’il avait choisi ; après avoir regardé tout autour de lui comme pour s’assurer qu’il n’était pas exposé à être dérangé ou observé (chose que redoutent fort les pêcheurs à la ligne), il descendit rapidement le long de la berge, et enfin, quittant définitivement le bord de l’eau, il prit un sentier, qui après une bonne marche de près d’une heure l’amena à la porte d’une chaumière. Il frappa deux fois, puis il entra ; et lorsque le banquier reprit le chemin de l’auberge, le soleil était près de son déclin. Il eut bientôt achevé le frugal dîner que les gens de l’auberge, étonnés de sa longue absence, et dans l’attente du poisson qu’il devait rapporter pour faire frire, avaient retardé. On lui amena son cheval, et les nuages rouges à l’occident signalaient déjà la fin du jour, lorsqu’il s’éloigna