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Vers le point du jour, Alice s’endormit d’un sommeil profond et réparateur ; et lorsque, en s’éveillant, elle apprit par un mot que lui écrivit son hôte, que son père était parti et qu’elle pouvait rentrer chez elle en sûreté et sans crainte, une violente crise de larmes, suivie d’une longue prière pleine de reconnaissance, contribua à calmer son esprit et ses nerfs. Quelque imparfaite que fût la connaissance du bien et du mal chez cette jeune femme, elle comprenait pourtant les droits qu’un père (quelque criminel qu’il soit) a sur son enfant, car ses sentiments étaient si vrais et si justes qu’ils suppléaient en elle à l’absence de principes. Elle savait qu’elle ne pouvait vivre sous le même toit que ce terrible père ; mais pourtant elle éprouvait une espèce de remords à penser qu’il eût été chassé de ce toit dans l’indigence et le besoin. Elle se hâta de s’habiller et de demander une entrevue à son protecteur. Celui-ci apprit avec admiration et plaisir qu’il n’avait fait que devancer le projet spontané et instinctif d’Alice, en accordant une pension à Darvil. Il lui fit part alors de l’arrangement qu’il avait fait avec son père ; elle pleura en lui baisant la main, et résolut secrètement de travailler courageusement afin d’augmenter la somme. Ah ! si par son travail elle pouvait affranchir son père de la nécessité de chercher des ressources plus coupables ! Hélas ! quand le crime s’est érigé en habitude, c’est comme le jeu ou la boisson, c’est un stimulant qui devient nécessaire. Si Luc Darvil eût hérité de l’opulence d’un Rothschild, il n’en serait pas moins resté un franc coquin d’une façon ou d’une autre ; ou bien l’ennui aurait réveillé sa conscience, et le changement d’habitudes l’aurait tué.

La beauté morale d’Alice faisait toujours plus d’impression sur notre banquier que sa beauté physique. Par exemple, son amour pour son enfant le touchait profondément, et il la contemplait toujours d’un regard plus doux quand il la voyait caresser ou soigner la petite créature privée de père, dont la santé était maintenant faible et précaire. Il est difficile de dire s’il était positivement amoureux d’Alice ; ce mot est trop fort peut-être pour l’appliquer à un homme qui avait passé la cinquantaine, et qui avait traversé trop d’émotions et d’épreuves pour avoir pu conserver la jeunesse du cœur. En somme, ses sentiments vis-à-vis d’Alice, les projets qu’il nourrissait à son égard, étaient très-compliqués dans leur nature, et le lecteur sera peut-être très-longtemps avant de les comprendre parfaitement. Il reconduisit Alice chez elle ce jour-là, mais il parla