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ses veines. Mais, d’une façon ou d’une autre, dans son organisation primitive, il y avait cette heureuse tendance des plantes vers ce qui est pur et radieux. Car, en dépit d’Helvétius, l’expérience vulgaire nous apprend que, quoique l’éducation et les circonstances puissent pétrir la masse, la nature elle-même forme quelquefois l’individu, et jette dans la matière ou dans l’esprit une certaine quantité de beauté ou de difformité telle que rien ne peut ensuite complétement anéantir les éléments primitifs du caractère. Du miel l’un tire du poison ; tandis que du poison un autre n’extrait que du miel. Mais moi qui ai souvent et sérieusement réfléchi à l’histoire psychologique d’Alice Darvil, je pense que si elle échappa à la contagion du vice qui environna son enfance, elle le dut principalement au développement long et tardif de ses facultés intellectuelles. Que ce fût ou non la brutale violence de son père qui, dans son enfance, avait réagi par les nerfs sur son cerveau, il est certain que jusqu’à l’époque où elle connut Maltravers, jusqu’à l’époque où elle aima, où elle fut aimée, son intelligence avait paru engourdie et bornée. Il est vrai que Darvil ne lui avait rien enseigné, qu’il n’avait jamais consenti à ce qu’elle apprît quelque chose ; mais cette ignorance seule n’eût pas été un préservatif pour un esprit vif et observateur. C’était l’insensibilité obtuse des sens eux-mêmes qui formait comme une armure entre son âme et les choses abjectes qui l’environnaient, semblable à la grossière et sombre enveloppe de la chrysalide faite de manière à résister à un rude contact et à la dure saison d’hiver, afin que le papillon puisse en sortir ailé et radieux, quand le printemps sera venu. Si Alice avait été une enfant intelligente, elle serait probablement devenue une femme dépravée et sans mœurs ; mais elle n’avait pas compris grand’chose, jusqu’au jour où elle trouva son inspiration dans ce sentiment qui sait ennoblir les animaux comme les hommes ; qui fait du chien (dans son état naturel, l’un des êtres les plus sauvages de la race animale) le compagnon, le gardien, le défenseur de l’homme, et élève l’instinct presque au niveau de la raison.

Le banquier avait une profonde affection pour Alice, et lorsqu’il rentra chez lui, il éprouva beaucoup de chagrin en apprenant qu’elle était en proie à une fièvre violente. Elle resta sous son toit cette nuit-là, et reçut les soins de la vieille dame, parente et gouvernante du vieux gentleman. Ce dernier dormit peu, et le lendemain matin son visage était plus pâle que d’ordinaire.