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il me semble que vous avez eu de très-bonnes cartes entre les mains, si vous aviez seulement su les jouer. Enfin, c’est votre affaire. Il n’est pas encore trop tard pour vous repentir ; la vieillesse s’avance. Souvenez-vous, malheureux, qu’il est un autre monde. »

Le banquier prononça ces derniers mots d’un ton d’adjuration solennelle et même digne.

« Vous croyez ça, vous, n’est-ce pas ? dit Darvil en le regardant insolemment.

— Du fond de mon âme, je le crois.

— Alors vous n’avez pas autant de bon sens que je le croyais, répondit sèchement Darvil. J’aimerais à causer avec vous à ce sujet. »

Mais notre homme pieux, quelque sincère que fût d’ailleurs sa foi, ne possédait aucunement le pouvoir de chasser le désespoir et l’angoisse d’une âme luttant contre le doute. Il avait des paroles réconfortantes pour les gens religieux, mais il n’en avait pas pour les sceptiques ; il savait consoler, mais non convertir. C’était un don qui lui manquait. D’ailleurs il ne voyait pas grand honneur à faire la conversion de Luc Darvil. Il se leva donc avec quelque précipitation, en lui disant :

« Non, monsieur ; je crains que ce ne soit inutile, et je n’ai pas de temps à perdre ; ainsi une fois encore je vous souhaite le bonsoir.

— Mais nous ne sommes pas convenus comment et où ma pension devait m’être envoyée.

— Ah ! c’est vrai. Je vous la garantirai. Trouvez-vous que mon nom soit une garantie suffisante ?

— Dans tous les cas, c’est la meilleure que je puisse avoir, répondit négligemment Darvil ; et après tout je n’ai pas fait une trop mauvaise journée. Mais je ne puis vraiment vous dire où m’envoyer l’argent, je ne connais pas un homme qui ne fût prêt à me le voler.

— Très-bien ; alors la meilleure marche à suivre (je parle en homme d’affaires) sera de tirer sur moi pour la somme de dix guinées chaque trimestre. En quelque lieu que vous soyez, vous pourrez vous adresser à n’importe quel banquier pour cela. Mais faites attention que si jamais vous tirez pour une somme plus forte, vous n’obtiendrez plus rien.

— Je comprends, dit Darvil ; et aussitôt que j’aurai fini cette bouteille, je m’en irai.