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— Arrêtez, dit Darvil ; vous êtes le premier homme que j’aie rencontré depuis bien des années, qui me revienne. Asseyez-vous, asseyez-vous, vous dis-je ; causons un peu, et je suis sûr que nous nous entendrons bientôt. Là ; c’est bien. Dieu ! que j’aimerais à vous tenir sur la grande route, au lieu de vous avoir entre ces quatre murs de carton. Ah ! ah ! ah ! j’aurais tous les arguments de mon côté alors ! »

Le banquier n’était pas brave, et sa couleur changea légèrement en entendant exprimer ce souhait obligeant. Darvil le regardait de travers en riant sans cesse.

L’homme riche reprit :

« Peut-être que oui, et peut-être que non, monsieur Darvil, selon que j’aurais ou non des pistolets sur moi. Mais revenons à la question. Quittez cette maison sans autre discussion, sans bruit, sans parler à qui que ce soit de vos droits sur la personne qui y demeure…

— Eh bien ! et en retour !

— Dix guinées à présent ; et la même somme chaque trimestre, tant que la jeune personne demeurera dans cette ville, et que vous ne l’inquiéterez ni personnellement, ni par lettres.

— Ça fait quarante guinées par an. Ce n’est pas assez pour vivre.

— Votre entretien coûtera moins que cela dans la maison de correction, monsieur Darvil.

— Voyons, dites cent livres. Alice est encore un bon marché à ce prix-là.

— Pas un liard de plus, dit le banquier en boutonnant la poche de son pantalon d’un air décidé.

— Allons, faites voir vos jaunets.

— Promettez-vous, oui ou non ?

— Je promets.

— Voici vos dix guinées. Si dans une demi-heure vous n’êtes pas parti.

— Eh bien, alors….

— Alors vous m’avez volé dix guinées, et il vous faut subir les conséquences ordinaires du vol. »

Darvil bondit sur pieds ; ses yeux flamboyaient ; il saisit le couteau à découper qui se trouvait devant lui.

« Vous avez de la hardiesse, dit tranquillement le banquier, mais à quoi bon ? Vous ferez une mauvaise affaire en m’assassinant ; et je suis un homme dont l’absence serait très-certainement remarquée. »