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CHAPITRE VII.

Miramont. — Écument-ils de colère ?

André. — Comme si on les eût frottés de savon, monsieur. Tantôt ils jurent tout haut et tantôt ils se calment, c’est un vrai carillon de cloches agitées par le vent. Puis ils délibèrent ensemble pour décider ce qu’il faut faire, et puis ils se disputent encore à ce sujet.

(Beaumont et Fletcher.)

Le banquier et le gueux assis ensemble dans ce petit salon, face à face, l’un sur un fauteuil, l’autre sur le sofa, offraient un curieux tableau de la nature humaine ! Darvil, encore aux prises avec de la viande froide, faisait la grimace en avalant de l’eau-de-vie très-médiocre, que la vieille servante, intimidée par ses menaces, avait été lui chercher à la taverne la plus voisine. Assis en face de lui, l’homme considéré, hautement considéré, l’homme des convenances et du cérémonial, l’homme du respect humain et du charlatanisme, examinait gravement cet abject et hardi coquin. D’un côté l’opulent hypocrite, de l’autre le vaurien sans le sou, l’homme qui avait tout à perdre, l’homme qui ne possédait au monde que sa vile et scélérate existence, une montre d’or, avec sa chaîne et ses cachets, qu’il avait volée la veille, et trois shillings, trois pence et demi dans la poche gauche de son pantalon.

L’homme d’opulence ne connaissait que fort imparfaitement la nature de l’animal qu’il avait devant les yeux. Mistress Leslie lui avait fait connaître (ainsi que nous l’avons dit), l’esquisse de l’histoire d’Alice, et il en avait conclu que le père de leur protégée était un misérable. Mais il ne s’attendait à trouver, en la personne de M. Darvil, qu’un vaurien stupide et abruti, un grossier coquin, un rustre épais, sans cervelle, et sans l’effronterie qui en tient lieu. Mais Luc Darvil était un gaillard intelligent, qui avait reçu une certaine éducation. Il ne péchait pas par ignorance, car il possédait assez d’esprit pour avoir de mauvais principes, et il était aussi insolent que s’il eût passé sa vie dans la meilleure société. Les culottes grises et l’air solennel du banquier ne lui en imposaient pas du tout ! Luc Darvil n’aurait pas eu peur du duc de Wellington,