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des entrées de la ville, il arrivait probablement, après une longue journée de marche, à sa destination pour ce soir-là. La physionomie de l’étranger avait un air inquiet, agité, troublé. Dans sa démarche et son aspect fanfaron, il y avait l’insolente insouciance d’un vagabond de profession ; mais dans ses yeux vigilants, observateurs et soupçonneux, on voyait l’expression suspecte de l’appréhension et de la crainte. C’était un homme sur lequel le crime semblait avoir imprimé sa marque significative, et qui d’un œil voyait une bourse et de l’autre la potence. Alice ne l’avait pas remarqué avant qu’elle eût elle-même attiré et concentré toute l’attention de l’étranger. Il s’arrêta brusquement en apercevant son visage, s’abrita les yeux derrière sa main, comme pour mieux voir, et enfin jeta une exclamation de surprise et de plaisir. En ce moment Alice se retourna, et son regard rencontra celui du passant. Le regard du basilic n’étourdit, ne paralyse pas plus vite sa victime, que l’œil de cet étranger ne fascina d’épouvante et d’effroi les yeux et l’âme d’Alice Darvil. Sa figure devint soudain contractée et rigide, ses lèvres blanches comme du marbre ; ses yeux dilatés sortaient de leurs orbites ; ses mains se crispèrent convulsivement, elle tressaillit, et pourtant elle resta immobile. L’homme lui fit un signe de tête, se mit à rire, traversa froidement la rue, gagna la porte, et frappa bruyamment. Alice restait toujours sans mouvement. Le sentiment semblait l’avoir abandonnée. Bientôt la voix sonore et rude de l’étranger se fit entendre au-dessous, en réponse aux accents de l’unique servante qu’Alice avait à son service ; et un instant après ses pas lourds et retentissants ébranlèrent le frêle escalier. Alice se leva alors comme par instinct, saisit son enfant dans ses bras, et se dressa roide et immobile devant la porte ; la porte s’ouvrit, et le père et la fille se trouvèrent face à face, sous le même toit.

« Eh bien, Alice, comment vous portez-vous, ma belle ? Enchantée de revoir votre vieux père, j’en suis bien sûr ? Pas de cérémonies ! Asseyez-vous. Ah ! ah ! c’est gentil ici, très-gentil. Nous allons mener une existence charmante ensemble. Vous faites vos affaires pour votre compte, hein ? Petite rusée ! Mais allons, il ne faut pas abandonner votre pauvre vieux père. Voyons, donnez-moi quelque chose à manger et à boire. »

Ce disant, Darvil, de l’air d’un homme décidé à se mettre tout à son aise, se jeta tout de son long sur le petit canapé propre, coquet, recouvert de perse.

Alice le regardait en tremblant de tous ses membres, mais