Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Alice inclina sa tête gracieuse, et s’apercevant qu’il était tombé dans un silence rêveur, elle pensa qu’il était temps de se retirer.

« En effet, elle est charmante, dit presque à haute voix le banquier lorsqu’il se trouva seul ; et la vieille dame a raison, elle est aussi innocente que si elle n’avait jamais failli. Je voudrais bien savoir si… »

Il s’arrêta tout court, se dirigea vers la glace placée au-dessus de la cheminée, et il y examinait encore ses traits lorsque mistress Leslie revint.

« Eh bien ! monsieur ? » dit-elle un peu étonnée de cette apparence de vanité chez un homme aussi pieux.

Le banquier tressaillit.

« Madame, dit-il, votre pénétration vous fait autant d’honneur que votre charité. Je crois qu’il y a tant à craindre si on laisse connaître la faute passée de cette jeune femme, que, tout en n’osant pas vous le conseiller, je ne puis vous blâmer de la cacher.

— Mais, monsieur, vos paroles m’ont produit une profonde impression. Vous avez dit qu’on ne pouvait s’écarter de la vérité sans manquer à son devoir.

— Assurément ; mais il y a des exceptions. Le monde est un monde méchant, nous sommes nés dans le péché, et nous sommes des enfants de colère. Nous ne disons pas aux petits enfants toute la vérité, quand ils nous font des questions dont les réponses vraies ne serviraient qu’à les égarer au lieu de les éclairer. Dans certaines choses tous les hommes sont de petits enfants. La science même du gouvernement est la science de cacher la vérité ; il en est de même du système commercial. Nous ne pouvons blâmer le commerçant de ce qu’il ne dit pas au public que, si toutes ses dettes rentraient à la fois, il ferait banqueroute.

— Et peut-être l’épousera-t-il, après tout, ce monsieur Butler.

— À Dieu ne plaise !… le misérable ! Eh bien ! madame, je m’occuperai de cette pauvre jeune femme. Elle ne restera pas sans guide.

— Le ciel vous récompense ! Dire qu’il y a des gens assez méchants pour vous accuser de sévérité !

— Je sais supporter cette accusation avec une humble résignation, madame. Bonjour.

— Bonjour, monsieur. Vous vous souviendrez que notre entretien a été strictement confidentiel.