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Tel était l’homme qu’appela mistress Leslie (qui, partageant ses opinions religieuses, le connaissait et le respectait depuis longtemps), pour décider les affaires d’Alice et diriger sa propre conscience.

Comme l’influence de cet homme sur la destinée d’Alice Darvil ne fut ni faible ni passagère, nous répéterons intégralement ses avis sur le point en discussion.

« Et maintenant, dit mistress Leslie en achevant l’histoire d’Alice, vous devez comprendre, mon cher monsieur, que cette pauvre jeune femme a été moins coupable qu’elle ne le paraît. À en juger par les progrès extraordinaires qu’elle a faits en musique dans un espace de temps qui, d’après son récit, a dû être fort restreint, je suis tentée de croire que son lâche séducteur était un artiste, un musicien. Il n’est pas tout à fait impossible qu’ils se rencontrent un jour, et qu’il l’épouse, car la différence de leurs rangs ne doit pas être bien disproportionnée. Assurément il ne pourrait rien faire de mieux ou de plus sage, car elle ne l’aime que trop tendrement, en dépit du tort qu’il lui a fait. Dans cette conjoncture, serait-ce une… une… une déception bien criminelle que de la faire passer pour une femme mariée, séparée de son mari, et de lui donner le nom de son séducteur ? Sans cette précaution, vous devez voir, monsieur, que tout espoir de lui faire une position honorable, toute chance de lui procurer d’honnêtes moyens d’existence est impossible. Tel est le dilemme qui m’embarrasse. Quel est votre avis ? Agréable ou non, je le suivrai ! »

La physionomie grave et sérieuse du banquier exprima un certain embarras, quand ce cas de conscience lui fut soumis. Il se mit à enlever avec le revers de sa manche quelques grains de poussière qui s’étaient attachés à son pantalon gris ; et, après un court intervalle de silence, il répondit :

« Ma foi, chère dame, c’est là véritablement une question fort délicate ; je ne sais trop si nous autres hommes nous sommes bons juges en pareille matière. Le tact et l’instinct de votre sexe, dans un cas semblable, valent mieux, infiniment mieux que notre sagacité. Il faut écouter les conseils de votre cœur ; car le Seigneur daigne communiquer sa volonté à ceux qui sont dans sa grâce, par des inspirations spirituelles et des révélations intérieures.

— S’il en est ainsi, mon cher monsieur, la chose est toute décidée ; car mon cœur me dit que ce léger écart de la vérité