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plus charitable, plus bienveillant, et plus pieux qu’il ne l’était véritablement. Sa réputation était arrivée à ce degré de pureté immaculée que le moindre souffle, qui n’aurait pas même terni la renommée d’un autre, aurait marqué la sienne d’une tache ineffaçable. Il affectait plus de sévérité que les hommes d’église, et par tous ceux qui accusaient ces derniers de tiédeur, il était considéré comme un oracle ; de sorte que sa conduite était sous la jalouse surveillance de tout le clergé orthodoxe de la cathédrale, composé indubitablement d’hommes excellents, mais qui n’avaient pas la prétention de passer pour des saints, et qui étaient jaloux de se voir éclipsés d’une façon aussi éclatante par un laïque, faisant autorité parmi les sectaires. D’un autre côté l’hommage profond, le culte presque, qu’il recevait de ses admirateurs, tenait sa vertu tendue, sinon au delà de la puissance humaine, du moins au delà de la sienne. Car « l’admiration (ainsi que l’a dit je ne sais plus qui) est une espèce de superstition qui veut des miracles. » Ce banquier avait reçu de la nature une part exorbitante de penchants matériels ; il avait de fortes passions, et un tempérament sensuel. Il aimait la bonne chère et le vin ; il aimait les femmes. Ces deux premiers bienfaits de la vie charnelle ne sont pas incompatibles avec la canonisation ; mais saint Antoine a prouvé que les femmes, quelque angéliques qu’elles soient, n’appartiennent pas précisément à cet ordre d’anges que les saints peuvent fréquenter sans danger. Par conséquent, s’il cédait jamais aux tentations de la chair, il le faisait avec une grande prudence et un profond mystère ; et sa main droite ne savait pas ce que faisait sa main gauche.

Ce monsieur avait épousé une femme beaucoup plus âgée que lui, mais dont la fortune avait été un des marchepieds nécessaires à sa carrière. Sa conduite exemplaire vis-à-vis de cette dame, laide aussi bien que vieille, avait beaucoup contribué à accroître son odeur, de sainteté. Elle mourut d’une fièvre, et le veuf respecta la vraisemblance, en n’affichant pas une douleur trop profonde.

« Que la volonté de Dieu soit faite ! dit-il, c’était une bonne femme, mais il ne faut pas s’attacher trop fortement aux créatures périssables du Seigneur ! »

Ce fut tout ce qu’on lui entendit jamais dire à ce sujet. Il prit une dame âgée, sa parente éloignée, pour tenir sa maison et présider à sa table ; et on pensait qu’il n’était pas impossible que le veuf se remariât, quoiqu’il eût passé la cinquantaine.