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sentaient la ville de C***. Il se servait toujours de cette influence pour raffermir ses intérêts auprès du pouvoir, et pour parvenir à réaliser certains projets ambitieux (car à sa manière il avait de l’ambition et de l’ostentation), qui lui semblaient plus faciles à atteindre par procuration, que par ses votes et son éloquence personnelle dans le parlement, atmosphère où il ne brillait pas. Or le banquier possédait une adresse merveilleuse à appuyer d’une part le gouvernement, et à se concilier de l’autre les whigs et les non-conformistes de son voisinage, par l’expression fréquente de ses opinions libérales. À cette époque les partis politiques et religieux n’étaient pas aussi irréconciliables qu’ils le sont maintenant. Dans tout le comté il n’y avait personne qui fût aussi respecté que cet influent personnage, et pourtant il n’avait pas un mérite éclatant, quoique ce fût un homme d’affaires laborieux et énergique. C’était uniquement et entièrement la puissance de son caractère moral qui lui faisait sa position dans la société. Il le sentait bien ; il en était fier jusqu’à la susceptibilité ; il veillait avec une sollicitude pénible à ne pas perdre un atome d’une distinction qui demandait une vigilance continuelle. C’était un caractère très-remarquable, et pourtant (s’il nous était donné de pénétrer les cœurs) peut-être ne dirions-nous pas un caractère très-rare, que ce banquier ! D’une origine comparativement obscure, et d’une position de fortune médiocre, il s’était élevé par un austère et scrupuleux respect des convenances dans sa conduite extérieure. Il associait, par conséquent, inséparablement toutes ses idées de prospérité et d’honneur mondain à ce respect des convenances. Ainsi, bien qu’il fût loin d être un mauvais homme, il avait été en quelque sorte amené par sa position à une espèce d’hypocrisie. Tous les ans il devenait plus rigide et plus dévot. C’était le gardien de la conscience de toute la ville ; et il est prodigieux combien de gens osaient à peine faire leur testament, ou souscrire en faveur d’une œuvre de charité, sans l’avoir consulté. Comme c’était un homme fort habile dans les affaires temporelles, aussi bien qu’un conseiller accrédité dans les affaires spirituelles, ses avis étaient précisément de nature à concilier la conscience et l’intérêt ; et c’était une espèce de négociateur dans la diplomatie réciproque de la terre et du ciel. Cependant notre banquier avait de la charité vraie, de la bienveillance, et une foi sincère. Comment, alors, était-ce un hypocrite ? simplement parce qu’il prétendait être beaucoup