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avait fondé des sociétés chorales et des souscriptions pour la musique d’église ; et tous les cinq ans il y avait le grand festival de C***. Mistress Leslie installa Alice dans cette ville. Elle la plaça dans la maison d’un ci-devant professeur de musique qui, s’étant retiré, ne nourrissait plus de jalousies contre ses rivaux, et que des conditions fort avantageuses décidèrent à recevoir Alice chez lui, afin de compléter son éducation musicale. C’était un intérieur fort recommandable, qui offrait beaucoup de bien-être ; le vieux maître de musique et sa femme étaient bons et bienveillants.

Trois mois d’une persévérance énergique et incessante, que secondaient la merveilleuse facilité et les dons naturels d’Alice, suffirent pour en faire la meilleure élève que le bon musicien eût jamais formée ; et lorsque trois autres mois se furent écoulés, mistress Leslie la présenta à plusieurs familles de la ville, Alice fut installée chez elle. Bientôt, grâces à ses leçons régulières et à des soirées musicales qu’elle donnait de temps à autre, elle fut à même de se faire, ainsi que le lui avait prédit avec raison son professeur, une position très-convenable.

Or, dans ces arrangements (ici il faut que nous revenions un peu sur nos pas), il y avait eu à surmonter une difficulté gigantesque ; difficulté de conscience d’un côté et de sentiment de l’autre. Mistress Leslie comprit tout d’abord que, si l’on ne cachait point la faute d’Alice, toutes les vertus et tous les talents du monde ne pourraient lui faire pardonner ce premier faux pas. Mistress Leslie était une femme d’une grande véracité et d’une stricte droiture ; et elle se trouva placée dans une pénible alternative, entre les exigences et les suites cruelles de la vérité. Elle n’osa prendre sur elle la responsabilité d’agir ; et, après beaucoup de réflexions, elle résolut de confier ses scrupules à un homme qui possédait, plus que tous ceux qu’elle connaissait, une haute réputation de vertu et de piété. Ce monsieur, veuf depuis peu, demeurait sur les confins de la ville qu’on avait choisie pour être la résidence à venir d’Alice, et à cette époque il était en visite dans le voisinage de mistress Leslie. C’était un homme opulent, un banquier ; à une époque il avait représenté la ville de C*** au parlement ; mais n’aimant ni les travaux nocturnes, ni les fatigues onéreuses, même d’une chambre des Communes non réformée, il avait renoncé à son mandat ; pourtant il continuait à exercer de l’influence sur les élections de l’un, sinon des deux membres qui repré-