Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sonnel, elle ne voulait pas prêter l’oreille à une seule insinuation contre Maltravers. Quand, dans un mouvement d’indignation très-naturel, mistress Leslie l’accusa d’être un suborneur de l’innocence (car mistress Leslie ne pouvait connaître toutes les circonstances atténuantes de sa faute), Alice se leva précipitamment, les yeux flamboyants et la poitrine haletante ; elle aurait fui le seul abri qu’elle eût dans le monde entier, elle serait plutôt morte, elle aurait plutôt vu mourir son enfant, que de faire à l’idole de son âme, qu’elle plaçait seul sur un piédestal entre le ciel et la terre, l’injure de l’entendre accuser. Mistress Leslie eut de la peine à la retenir, et encore plus à l’apaiser et à la consoler. La pétulance de la jeune fille, qui, aux yeux de beaucoup de gens, aurait passé pour de l’insolence ou de l’ingratitude, lui attacha encore davantage le cœur de femme de mistress Leslie. Plus elle voyait Alice, et mieux elle comprenait son histoire et son caractère ; plus le roman dont la belle enfant avait été l’héroïne la remplissait d’étonnement, et plus l’avenir d’Alice lui causait de perplexités.

Lorsque, cependant, elle put juger du talent d’Alice pour la musique, talent qui n’était certainement pas ordinaire, ce fut pour elle un trait de lumière. C’était là la source de son indépendance à venir. Maltravers, qu’on s’en souvienne, était un musicien d’une science profonde aussi bien que d’un goût parfait, et les dispositions naturelles d’Alice pour cet art l’avaient fait arriver, dans l’espace de quelques mois, à un degré de perfection que d’autres n’atteignent, que l’intelligent Maltravers lui-même n’avait atteint qu’après plusieurs années de travail. Mais on apprend si vite quand on a pour professeur l’objet de son amour ! D’ailleurs, il est à observer que moins on a de connaissances, moins on a peut-être même de génie, plus on a de facilité pour la musique, qui est une jalouse maîtresse de l’esprit. Mistress Leslie résolut de lui faire perfectionner son talent, et de la mettre à même d’enseigner aux autres. La ville de C***, située à trente milles environ de la demeure de mistress Leslie, bien que dans le même comté, possédait une société assez nombreuse de personnes riches et intelligentes ; car c’était une ville cathédrale, et le clergé résidant y attirait une espèce d’aristocratie de province. Comme dans presque toutes les villes de province en Angleterre, la musique y était fort cultivée, autant dans la haute société que dans la moyenne. On y donnait des concerts d’amateurs, on y