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quant aux privations physiques, ses plus cruelles épreuves étaient passées.

Il arriva qu’Alice, épuisée, se traînait avec difficulté à l’entrée du village qui devait borner son voyage de ce jour-là, lorsqu’une dame d’un certain âge la rencontra. La compassion se lisait si clairement dans la physionomie de cette dame, qu’Alice ne voulut pas lui tendre la main ; elle avait un singulier sentiment de délicatesse ou de fierté, et elle s’adressait plutôt aux personnes qui la regardaient avec sévérité qu’à celles qui la regardaient avec bienveillance ; elle n’aimait pas à s’abaisser ainsi aux yeux de ces dernières. La dame s’arrêta.

« Où allez-vous ainsi, ma pauvre enfant ?

— Où il plaît à Dieu de me conduire, madame, dit Alice.

— Ah ?… et cet enfant est-il à vous ? Vous n’êtes guère qu’une enfant vous-même ?

— Oui, il est à moi, madame, dit Alice en regardant l’enfant avec amour ; c’est tout ce que je possède !

La voix de la dame s’altéra.

— Êtes-vous mariée ? demanda-t-elle.

— Mariée !… Oh ! non, madame ! » répondit Alice innocemment et sans rougir ; car elle n’avait jamais su qu’elle eût été coupable en aimant Maltravers.

La dame se recula, mais ce ne fut pas d’horreur ; non, ce fut par un sentiment de compassion encore plus profond qu’auparavant ; car cette dame était réellement vertueuse, et elle savait que les fautes de son sexe sont suffisamment punies, pour permettre à la vertu de les plaindre, sans péché.

« J’en suis fâchée, dit-elle, d’un ton plus grave pourtant. Êtes-vous à la recherche du père de l’enfant ?

— Ah ! madame ! je ne le reverrai plus jamais ! » Et Alice fondit en larmes.

« Quoi ! il vous a abandonnée ? Si jeune et si jolie ! ajouta la dame tout bas.

— Abandonnée !… Oh ! non, madame ; mais c’est une longue histoire. Bonsoir, madame ! Je vous remercie beaucoup de votre compassion. »

Les yeux de la dame se mouillèrent.

« Arrêtez, dit-elle ; dites-moi franchement où vous allez, et quel est votre but.

— Hélas ! madame, je vais n’importe où, car je n’ai pas d’abri ; mais je voudrais vivre, je voudrais gagner ma vie,