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je puis suffire à nourrir et encore… Mais vous voudriez peut-être vous reposer maintenant ; je vous donnerai mon lit, monsieur, je puis dormir ici.

— Mais, du tout, dit l’étranger vivement ; mettez quelques morceaux de charbon sur le feu, et laissez-moi m’arranger à ma convenance. »

L’homme, sans résister davantage, se leva et quitta la chambre pour aller chercher du combustible. Alice resta dans son coin.

« Ma charmante, dit le voyageur en regardant autour de lui pour s’assurer qu’ils étaient seuls ; je dormirais mieux si vous me donniez seulement un baiser de vos lèvres de corail ! »

Alice se cacha la figure dans ses mains.

« Vous ai-je fâchée ?

— Oh ! non, monsieur.

En recevant cette assurance, le voyageur se leva et s’approcha doucement d’Alice. Il écarta ses mains de sa figure, et elle lui dit d’une voix douce :

« Avez-vous beaucoup d’argent sur vous ?

— Oh ! la mercenaire ! se dit tout bas le voyageur, puis il reprit à haute voix : Pourquoi, ma jolie fille ! Vendez-vous donc si cher vos baisers ! »

Alice fronça les sourcils, et rejeta ses cheveux en arrière.

« Si vous avez de l’argent, dit-elle à voix basse, n’en dites rien à mon père. Ne dormez pas, si vous pouvez vous en empêcher. J’ai peur ! chut… il vient ! »

Le jeune homme, dont l’aspect était tout changé, alla se rasseoir. Quand son hôte rentra, pour la première fois il l’examina attentivement ; la lueur imparfaite de la chandelle mourante, qui seule éclairait la chambre, dessinait fortement en ombres et en lumières ses traits accentués, durs et féroces, et l’œil du voyageur passant du visage aux membres, vit que, si l’esprit était capable de méditer quelque violence, le corps était en état de la mettre à exécution.

Le voyageur tomba dans une sombre rêverie. Le vent soufflait, la pluie tombait, nulle étoile ne brillait à la petite fenêtre, tout était profondément obscur ; continuerait-il sa route tout seul ? Ne serait-il pas exposé à un plus grand danger sur cette lande vaste et déserte ? Son hôte ne pourrait-il pas le suivre, et l’assaillir dans les ténèbres ? À l’exception de son bâton de voyage, il n’avait pas d’armes. Mais à l’intérieur de la cabane il lui resterait au moins une grossière ressource