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CHAPITRE IV.

La patience et la douleur rivalisaient à qui la ferait valoir le mieux.
(Shakspeare.)
Je la plains, je la blâme, et je suis son appui.
(Voltaire.)

Dès lors Alice comprit que dans le vaste monde elle était seule, avec son enfant ; qu’elle ne devait plus être protégée, mais protectrice ; et après les premiers jours d’angoisse, elle se sentit animée d’une nouvelle force, puisée non pas dans l’espérance, mais dans la résignation. Ses pèlerinages solitaires n’ayant que Dieu pour guide, avaient beaucoup contribué à élever et à confirmer de plus en plus la noblesse de son caractère. Elle avait une ferme confiance dans la mystérieuse miséricorde du Tout-Puissant, et puis elle comprenait toute la responsabilité d’une mère. Livrée depuis tant de mois à ses propres ressources, même pour se procurer le pain de chaque jour, son intelligence s’était développée à son insu, et l’habitude d’une courageuse patience avait donné de la force à sa nature primitivement douce et toute féminine. Elle résolut d’aller dans quelque autre pays, car elle ne pouvait ni endurer les pensées que lui rappelait ce voisinage, ni envisager sans effroi et sans horreur la possibilité du retour de son père. Elle se remit donc en marche, et après une semaine de voyage elle se trouva dans un petit village. La charité est si commune en Angleterre, elle surgit si spontanément partout, comme la bonne semence le long du chemin, qu’elle avait rarement manqué du strict nécessaire. L’humilité de ses manières, sa voix douce et mélodieuse, dépourvue de ce nasillement habituel aux mendiants, avaient généralement du charme même pour les plus durs. Aussi obtenait-elle presque toujours de quoi acheter du pain, et se procurer un gîte pour la nuit ; et si quelquefois elle n’y réussissait pas, elle savait supporter la faim, et ne craignait pas de se glisser sous un hangar, ou même quand elle se trouvait au bord de la mer, dans quelque grotte protectrice. Son enfant prospérait aussi, car à brebis tondue Dieu mesure le vent ! Mais désormais,