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tablirai et je marcherai, mendiant mon pain sur la route, jusqu’à ce que j’arrive au cottage ; et là je le retrouverai, je mettrai mon petit enfant dans ses bras, et nous serons tous heureux encore une fois. » C’était donc pour cela que, aussitôt qu’elle avait pu marcher seule, elle était partie à pied de cette terre lointaine ; pour cela que, presque avec l’instinct d’un chien (car elle ne savait de quel côté elle devait se diriger ; elle ignorait dans quel comté se trouvait le cottage ; elle ne connaissait que le nom de la ville voisine ; et, bien que ce fût une ville populeuse, ce nom avait un son étranger aux oreilles de ceux à qui elle demandait son chemin, et souvent, bien souvent on l’avait mal renseignée) ; c’était pour cela, que, presque avec l’instinct fidèle d’un chien, malgré le froid et malgré la chaleur, malgré la faim et malgré la soif, elle avait poursuivi, jusqu’à la demeure de son ancien maître, son chemin solitaire et désolé ! Trois fois la fatigue l’avait vaincue, et elle avait dû à la pitié des pauvres un lit où reposer sa tête alourdie et son corps brisé par la fièvre. Une fois aussi, son enfant, son trésor, sa vie, avait été malade, avait failli mourir, et elle n’avait pu bouger jusqu’à ce que l’enfant (c’était une fille) fût rétabli, et pût lui sourire. De cette manière bien des mois s’étaient écoulés depuis le jour où elle avait entrepris son pèlerinage, jusqu’à celui où elle était arrivée au terme de son voyage. Mais jamais, excepté lorsque l’enfant avait été malade, elle n’avait perdu le courage et l’espérance. Elle le reverrait, et il embrasserait son enfant ! Et maintenant… non, je ne puis décrire la violence de ce coup terrible ! elle ne connaissait pas, elle n’imaginait pas toutes les tendres précautions qu’avait prises Maltravers ; et lui, il n’avait pas suffisamment tenu compte de sa complète ignorance du monde. Comment pouvait-elle deviner qu’à moins d’un mille de là, le magistrat aurait pu lui dire ce qu’elle voulait savoir ? Si elle avait seulement pu rencontrer le jardinier ou la vieille servante, tout eût été bien ! Pourtant elle eut la prévoyance de s’enquérir de ces derniers. Mais la femme était morte, et le jardinier avait pris du service dans un comté éloigné. Ainsi s’éteignit sa dernière lueur d’espoir. Si seulement quelqu’une des personnes qui se souvenaient des recherches de Maltravers, l’eût rencontrée et reconnue ! Mais peu de gens l’avaient vue ; et d’ailleurs la jeune fille si fraîche et si rayonnante était cruellement changée ! Sa carrière n’était pas fournie ; et la barque avait encore à braver plus d’un vent contraire sur les flots orageux, avant de trouver le port.