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sentirent la contagion de cette tristesse inexprimable et à demi craintive les gagner ; ils s’approchèrent presque avec respect.

« Demandez-vous quelque chose ici ? dit le plus âgé et le plus hardi des garçons.

— Je… je… c’est bien sûr ici Dale Cottage ?

— C’était autrefois Dale Cottage, mais c’est à présent Hobbs Lodge ; ne savez-vous pas lire ? dit l’héritier des Hobbs, qui perdit dans le mépris que lui inspira l’ignorance de la jeune fille, son premier sentiment de sympathie.

— Et… et… M. Butler, est-il donc parti aussi ? »

Pauvre enfant ! Elle parlait comme si le cottage eût été parti, et non pas embelli ; les colonnes ioniques du portique n’avaient pas de charmes pour elle !

« Butler !… Il n’y a personne de ce nom ici. Papa, savez-vous où demeure M. Butler ? »

Le papa faisait avancer en ce moment, vers le lieu de la conférence, la lente artillerie de son gros ventre rond et de ses imposants mollets.

« Butler ? Non. Je ne connais personne de ce nom-là ; il n’y a pas de M. Butler ici. Allez-vous-en ; n’êtes-vous pas honteuse de mendier ?

— Pas de M. Butler ! dit la jeune fille, en respirant avec effort, et en s’attachant à la grille pour ne pas tomber. En êtes-vous sûr, monsieur ?

— Si j’en suis sûr ! Je crois bien ! Que lui voulez-vous donc ?

— Oh ! papa, elle paraît épuisée ! dit l’une des filles, d’un accent de reproche ; faites-lui donner quelque chose à manger, je suis sûre qu’elle a faim. »

M. Hobbs prit un air courroucé ; il avait souvent été dupé, et d’ailleurs l’homme riche n’aime pas les mendiants. En général, l’homme riche a raison. Mais en cet instant M. Hobbs regarda le visage affligé de la mendiante, puis celui de la jolie enfant qui plaidait sa cause, et son bon ange murmura quelque chose à son cœur. Après un moment de silence, il dit :

« À Dieu ne plaise que nous manquions de compassion vis-à-vis d’une pauvre créature moins heureuse que nous ! Entrez, ma fille, et venez manger un morceau. »

La jeune fille ne paraissait pas l’avoir entendu ; il répéta son invitation et s’approcha pour ouvrir la grille.

« Non, monsieur, dit-elle ; non, je vous remercie. Je ne pourrais entrer maintenant. Je ne pourrais manger ici. Mais dites-moi, monsieur, je vous en conjure, ne pouvez-vous