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Elle savait, depuis longtemps, qu’elle portait dans son sein l’enfant de Maltravers, et cette pensée l’avait aidée à lutter et à vivre. Mais maintenant cet enfant futur s’était éveillé au mouvement, il s’agitait, il en appelait à elle ; c’était une chose invisible, inconnue ; mais pourtant c’était un être vivant qui en appelait à sa mère. Ah ! quel frisson, moitié d’ineffable tendresse, moitié de mystérieuse terreur, elle éprouva en ce moment ! Quel chapitre nouveau de la vie d’une femme s’ouvrait devant elle ! Désormais elle aurait à veiller sur elle-même, à se mettre en garde contre la fatigue, à maîtriser son désespoir. Il lui était confié un dépôt sacré, la vie d’une autre créature, l’enfant du bien-aimé. C’était une soirée d’été ; elle s’assit sur une pierre grossière. D’un côté s’élevait la ville, éclairée par ses lumières et ses réverbères ; au delà, s’étendaient les champs blanchis ; la lune et les étoiles brillaient au-dessus. Elle leva vers le ciel ses yeux inondés de larmes, et il lui sembla que Dieu, le Dieu protecteur, lui souriait, du haut des cieux limpides. Après s’être reposée un moment et avoir adressé au ciel une prière silencieuse, elle se leva et se remit en marche. Quand elle se trouva fatiguée, elle se glissa sous un hangar dans la cour d’une ferme, et s’endormit, pour la première fois, depuis bien des semaines, du calme sommeil de la sécurité et de l’espérance.


CHAPITRE III.

Elle revient comme un enfant prodigue, les flancs battus par la tempête, les voiles déchirées.
(Shakspeare. Le Marchand de Venise.)
Mer. Quels sont ces hommes ?

L’Oncle. Ce sont les locataires.

(Beaumont et Fletcher. De l’esprit et pas d’argent.)

Deux années s’étaient écoulées depuis la nuit où Alice avait été arrachée au cottage. En ce moment Maltravers errait parmi les ruines de l’antique Égypte ; et sur cette pelouse qu’Alice et son amant, la main dans la main, avaient tant de fois foulée, une troupe joyeuse d’enfants et de jeunes gens était rassemblée. Le cottage avait été acheté par un opulent fabri-