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épais manteau de matelot, et on la déposa dans une petite embarcation solidement construite. Tandis que le vent de mer soufflait autour d’elle, le froid présent et les fatigues passées engourdirent son triste cœur dans les bras d’un sommeil compatissant.


CHAPITRE II.

Vous êtes libre encore une fois ; voyez : je romps vos liens.
(La coutume du pays.)

Que d’épreuves il lui fallut subir, pauvre enfant ! Il serait impossible d’en rendre fidèlement compte, dût ce livre se multiplier en volumes plus nombreux que n’en écrivit jamais moine sur la vie d’un saint ou d’un martyr (bien que l’histoire de deux années seulement de la vie de saint Antoine ait rempli cent volumes). Il fait bon parler de la véracité des livres, mais il n’est pas d’homme qui, en écrivant sa biographie, n’ait été forcé d’omettre neuf dixièmes des matériaux les plus importants. Que sont trois volumes ?… six même ? Nous vivons six volumes en une journée ! Combien la pensée, l’émotion, la joie, la douleur, l’espérance, la crainte, seraient prolixes, si elles pouvaient raconter leur histoire de chaque heure ! La vie humaine elle-même est un court résumé de ce qui est infini et éternel ; et les confessions les plus détaillées des hommes ne sont que le maigre abrégé d’un sommaire rapide et confus !

Ce ne fut que trois mois environ après la nuit où Alice s’était endormie en pleurant au milieu de ces rudes compagnons, qu’elle réussit à tromper la vigilance de son père, et à s’échapper. Ils se trouvaient alors sur la côte d’Irlande. Darvil s’était séparé de Walters et de ses autres compagnons de voyage ; il avait dépensé la plus grande partie de l’argent qu’il avait acquis par ses crimes ; il commença sérieusement à s’efforcer de mettre à exécution son horrible dessein de tirer ses moyens d’existence de la vente de sa fille. On aurait pu façonner Alice à une vie d’ignominie avant qu’elle eût connu Maltravers ; mais, à partir de ce moment, sa faute même la ren-