« Charmante fille, dit-il (et, en lui parlant, il la regardait avec une admiration qu’il ne cherchait pas à déguiser), un homme qui a voyagé tout le jour, à pied, dans la contrée la plus laide qui soit entre les trois mers, est suffisamment délassé le soir quand il voit un aussi joli visage que le vôtre. »
Alice retira vivement sa main, et alla s’asseoir dans un coin de la chambre d’où elle continua à regarder l’étranger avec l’expression vague qui lui était habituelle, mais aussi avec un demi-sourire sur ses lèvres roses.
Le père d’Alice les regardait alternativement l’un et l’autre.
« Mangez, monsieur, dit-il avec une espèce de rire, et pas de ces belles paroles ; la pauvre Alice est honnête, comme vous l’avez dit tout à l’heure.
— Certainement, dit l’étranger en mettant énergiquement aux prises les croûtes dures et deux rangées de dents blanches fortes et égales, certainement elle est honnête. Je n’avais pas l’intention de vous offenser ; mais la vérité c’est que je suis presque étranger, et vous savez que sur le continent on peut dire une parole gracieuse à une jolie fille sans blesser, ni elle, ni son père.
— Presque étranger ! Mais vous parlez anglais aussi bien que moi, dit l’hôte, » dont le ton et le langage étaient en effet au-dessus de sa position.
L’étranger sourit.
« Merci du compliment, dit-il, ce que je voulais dire c’est que j’ai été longtemps à l’étranger ; je reviens même d’Allemagne en ce moment. Mais je suis né en Angleterre.
— Et vous vous en revenez chez vous ?
— Oui.
— Est-ce loin d’ici ?
— À trente milles environ, je crois.
— Vous êtes bien jeune, monsieur, pour voyager seul. »
Le voyageur ne répondit pas ; il acheva son repas frugal, et rapprocha sa chaise du feu. Il pensa alors qu’il avait assez alimenté la curiosité de son hôte pour être en droit de satisfaire la sienne.
« Vous travaillez dans les manufactures, sans doute ? dit-il.
— Oui, monsieur. Les temps sont durs !
— Et votre jolie fille ?
— Elle soigne le ménage.
— N’avez-vous pas d’autres enfants ?
— Non ; une bouche de plus que la mienne, c’est tout ce que