Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parence, que l’enseigne décorait du titre d’auberge, offrant bon gîte aux voyageurs ; à cette déclaration se trouvait annexé le distique suivant :

Le vieux Tom est un gin excellent plein d’attraits ;
Buvez-en une fois, et vous y reviendrez.

Cette chaumière était si éloignée de toute autre habitation, la lande qui l’entourait était si dénuée d’arbres, ou même de broussailles, qu’Alice comprit combien serait chimérique tout espoir de fuite en un pareil endroit. Pour rendre cette impossibilité encore plus absolue, Darvil lui-même la fit descendre de la charrette, lui fit monter un escalier dégradé et mal éclairé, la poussa rudement dans une espèce de grenier, ferma la porte à double tour, et redescendit. Il faisait froid ; l’humidité livide tachait les murailles, et il n’y avait ni feu, ni cheminée. Mais bien qu’elle fût légèrement vêtue, n’ayant guère que son manteau et son châle pour tous vêtements, Alice ne s’apercevait pas de la rigueur de la température, car son cœur était étreint d’un froid plus mortel que celui de l’atmosphère. À midi, une vieille femme lui apporta à manger ; ces aliments, qui consistaient en poisson et en gibier, fruit du braconnage, étaient meilleurs qu’on ne s’y serait attendu en pareil lieu ; c’eût été un festin, sous le toit de son père. Avec un regard significatif, la vieille lui montra un pot d’étain, rempli de genièvre pur, qu’on avait joint aux provisions, et, d’une voix chevrotante et avinée, elle lui déclara que « le vieux Tom était un ami plus fidèle que tous les jeunes gens ! » Après cette interruption, Alice resta seule jusqu’à la tombée du jour ; Darvil alors entra avec un paquet de vêtements, tels que les portent les paysans de ce canton primitif de l’Angleterre.

« Tenez, Alice, dit-il, mettez ces hardes chaudes ; les beaux atours ne conviendraient pas en ce moment. Il ne faut pas qu’on puisse suivre nos traces ; les chiens sont à notre piste, ma petite fleur. Voici une bonne robe de laine, et un manteau rouge qui effaroucherait un dindon. Quant à cet autre manteau et au châle, soyez tranquille ; ils n’iront pas chez la revendeuse ; nous en prendrons soin jusqu’à ce que nous arrivions dans quelque grande ville, où nous trouverons de jeunes gaillards qui ont les poches bien garnies ; car vous avez déjà découvert, à ce qu’il paraît, Alice, que votre figure c’est votre fortune. Voyons, dépêchez-vous ; il faut se mettre en route. Je reviendrai vous chercher dans dix minutes. Bah !