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de ce qui s’était passé, et à bien comprendre la terrible révolution qui avait bouleversé sa destinée. L’aube d’une matinée triste et grise commençait à luire ; et la grossière charrette couverte qui l’emportait, cahotait dans les ornières profondes d’une route peu fréquentée, serpentant au milieu de ces landes incultes et montagneuses, qui annoncent généralement en Angleterre le voisinage de la mer. Alice regarda tout autour d’elle en frémissant ; Walters, le complice de son père, était étendu à ses pieds, et sa lourde respiration indiquait qu’il dormait profondément. Darvil stimulait le cheval maigre et fatigué, et son large dos était tourné vers Alice ; il était placé de telle façon que la couverture en toile de la charrette le protégeait mal contre la pluie, qui égouttait des larges bords de son chapeau rabattu. Lorsqu’il se retourna, et que son regard sombre et sinistre s’arrêta sur la figure d’Alice, son ignoble physionomie, à laquelle la lueur froide et crue de cette triste matinée prêtait encore quelque chose de plus repoussant, compléta ce tableau de misère criminelle et révoltante.

« Ah ! bon ! Alice, vous avez donc repris vos sens, dit-il, avec une espèce de sourire sans gaieté. J’en suis bien aise, car je ne peux pas m’embarrasser de belles dames qui se trouvent mal. Vous avez eu de longues vacances, Alice ; il faudra maintenant vous remettre à travailler pour votre pauvre père. Ah ! vous avez été diablement rusée ; mais ne parlons plus du passé ; je vous le pardonne. Il ne faut plus vous enfuir sans ma permission. Si vous aimez les amants, je ne vous contrarierai pas ; mais il faut que votre vieux père partage les bénéfices, Alice. »

Alice ne put en entendre davantage : elle se couvrit la figure avec le manteau qu’on avait jeté sur elle, et quoiqu’elle ne s’évanouît pas, ses sens étaient comme paralysés. Peu de temps après, Walters s’éveilla, et les deux hommes causèrent de leurs projets, sans se préoccuper de sa présence. Par degrés, elle se ranima suffisamment pour écouter, dans l’espoir instinctif qu’un moyen de fuite quelconque lui serait suggéré. Mais tout ce qu’elle put comprendre des projets divers et incohérents qui furent discutés, au milieu d’altercations continuelles, entremêlées d’affreuses imprécations et d’argot presque inintelligible, ce fut qu’ils étaient résolus dans tous les cas à quitter le canton où ils se trouvaient ; quant au point de leur destination, rien ne paraissait encore décidé à cet égard. La charrette s’arrêta enfin devant une cabane de très-pauvre ap-