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grande volonté de Dieu, vous avez pu répandre de nouvelles idées dans le monde, que vous avez défendu le glorieux sacerdoce de l’honnête et du beau. Voilà la véritable ambition ! Le désir d’obtenir seulement une notoriété personnelle, n’est pas de l’ambition : c’est de la vanité. Ne soyez pas tiède ou insouciant. Le seul trait que j’ai observé en vous, ajouta le Français en souriant, qui puisse nuire à vos chances d’avenir, c’est que vous êtes trop philosophe, trop disposé au cui bono pour tout effort qui pourrait troubler l’indolence de vos loisirs studieux. Et il ne faut pas que vous supposiez, Maltravers, qu’une carrière active est un chemin semé de roses. À présent, vous n’avez pas d’ennemis ; mais, du moment où vous vous ferez remarquer, vous serez injurié, calomnié, insulté. Vous serez douloureusement étonné des courroux que vous exciterez, vous regretterez votre ancienne obscurité, et vous penserez, comme Franklin « que votre sifflet vous a coûté trop cher. » Mais, en retour des inimitiés individuelles, quelle noble compensation d’avoir fait du public lui-même votre ami ! De la postérité peut-être, votre disciple ! D’ailleurs, ajouta de Montaigne, avec un accent de solennité presque religieuse, il y a la conscience de l’esprit aussi bien que la conscience du cœur, et dans la vieillesse nous éprouvons autant de remords d’avoir négligé nos talents naturels, que d’avoir perverti nos vertus naturelles. Un homme qui peut se rendre le témoignage de n’avoir pas vécu en vain, d’avoir légué au monde un héritage d’instruction ou de plaisir, jette un regard en arrière sur ses luttes et ses efforts passés, avec un sentiment de satisfaction profonde et triomphante, et c’est une des plus heureuses émotions que puisse éprouver la conscience. Que sont, en effet, les fautes mesquines que nous commettons comme individus, qui n’affectent qu’un cercle restreint, et qui cessent avec notre vie, en comparaison du bien incalculable et éternel que nous pouvons produire, comme hommes publics, par un seul livre, ou par une seule loi ? Soyez convaincu que le Tout-Puissant qui pèse les bonnes et les mauvaises actions de ses créatures dans une juste balance, ne jugera pas les augustes bienfaiteurs du monde avec la même sévérité que ces frelons de la société qui n’ont pas d’éminents services à inscrire pur le Grand Livre éternel pour justifier le pardon de leurs petits vices. Ainsi donc, Maltravers, vous aurez tous les stimulants qui peuvent tenter un esprit élevé et une pure ambition, pour vous tirer de l’indolence voluptueuse d’un sybarite littéraire, et vous