Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus désormais de Maltravers ; il s’en était servi ; à quoi bon s’affliger de ce départ, puisque ce départ était l’ère de son apparition sur une nouvelle scène du monde !

Il tombait une petite pluie fine, quoique par moments les étoiles brillassent à travers les nuages entr’ouverts ; Teresa ne se hasarda donc pas à quitter la maison. Elle présenta sa joue satinée à baiser à son jeune convive, lui serra la main, et, les yeux remplis de larmes, elle lui dit adieu.

« Ah ! dit-elle, lorsque nous nous reverrons, j’espère que vous serez marié ! J’aimerai votre femme de tout mon cœur. Il n’y a pas de bonheur comparable à celui du mariage et du foyer domestique ! » Et Teresa regarda de Montaigne avec une naïve tendresse.

Maltravers soupira ; ses pensées s’envolèrent vers Alice. Où était-elle, en ce moment, la pauvre enfant isolée et sans famille, dont l’innocent amour avait jadis illuminé son foyer ? Il répondit machinalement quelque banalité, et quitta la chambre avec de Montaigne, qui voulut à toute force l’accompagner. En s’approchant du lac, de Montaigne rompit le silence.

« Mon cher Maltravers, dit-il d’un accent sérieux et affectueux, il est possible que nous ne nous revoyions pas d’ici à quelques années. Je m’intéresse vivement à votre bonheur et à votre carrière ; oui, votre carrière, je répète ce mot. Je ne cherche pas habituellement à inspirer de l’ambition aux jeunes gens. Il suffit à la plupart d’entre eux d’être de bons et honorables citoyens. Mais votre cas est différent. Je vois en vous cette jeunesse sérieuse et méditative (sans être ni téméraire ni présomptueuse), qui conduit généralement à la distinction dans l’âge mûr. Votre esprit n’est pas encore formé, c’est vrai ; mais il se dégage rapidement de la première fermentation des rêves et des passions de l’adolescence. Vous avez toutes choses en votre faveur : la fortune, la naissance, les relations ; et par-dessus tout, vous êtes Anglais ! Vous avez un vaste théâtre sur lequel, il est vrai, vous ne pouvez conquérir une place sans mérite et sans travail : tant mieux. Des rivaux forts et résolus vous y disputeront le succès, et, dans cette concurrence, il vous faudra déployer toute la puissance de vos moyens. Songez combien il est glorieux d’avoir quelque influence sur l’esprit déjà vaste mais toujours croissant d’un tel pays ; de sentir, en vous retirant de cette scène d’activité, que vous y avez joué un rôle qui ne s’oubliera pas ; que, subordonné à la