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sites étouffaient les fleurs que devrait uniquement produire le terrain de l’intelligence avec une bonne culture. Pourtant Castruccio avait encore à passer par cette crise de la vie qui régénère ou anéantit une âme sensible et poétique ; cette crise où les passions remplacent le sentiment ; où l’amour qu’on éprouve pour un objet véritable rassemble en un seul foyer les rayons épars du cœur. Peut-être sortirait-il de cette épreuve plus pur et plus viril : du moins, Maltravers l’espérait souvent. Maltravers se doutait peu alors que sa propre destinée devait être intimement liée à cet épisode passager de l’histoire de l’Italien !

Castruccio parvint à tirer Maltravers à l’écart, et quand il se trouva seul avec l’Anglais dans le bois situé derrière la maison, il lui dit avec quelque embarras :

« Vous allez sans doute à Londres ?

— Je traverserai cette ville ; puis-je y faire pour vous quelque commission ?

— Eh bien, oui, mes poëmes !… J’ai envie de les publier en Angleterre. Votre aristocratie cultive la littérature italienne ; et peut-être serai-je lu par la noblesse et la beauté. C’est là l’auditeur naturel des poëtes. Quant à la vile multitude… je la méprise !

— Mon cher Castruccio, je veux bien me charger de faire publier vos poëmes à Londres, si vous le désirez ; mais ne nourrissez pas de fausses espérances. En Angleterre nous lisons peu la poésie, même dans notre langue, et nous sommes scandaleusement indifférents à l’égard de la littérature étrangère.

— Oui de la littérature étrangère en général ; et vous avez raison. Mais mes poëmes, c’est toute autre chose. Ils s’empareront forcément de l’attention d’une société intelligente et distinguée.

— Eh bien ! tentons cette expérience. Vous pourrez me confier vos poëmes quand je vous quitterai.

— Je vous remercie, » dit Castruccio d’un ton joyeux, en pressant la main de son ami.

Pendant tout le reste de la soirée ce ne fut plus le même homme ; il caressa même les enfants, et ne parut pas dédaigner la grave conversation de son beau-frère.

Quand Maltravers se leva pour partir, Castruccio lui remit son manuscrit ; puis, complétement absorbé par la destinée glorieuse que lui promettait son imagination, il disparut pour aller dans la solitude se livrer à ses rêveries. Il ne se souciait