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« Où donc est Castruccio ? demanda Maltravers.

— Dans son bateau, sur le lac, répondit Teresa. Il ne pourra se consoler de votre départ ; vous êtes la seule personne qu’il puisse comprendre, et qui le comprenne lui-même ; la seule personne en Italie ; j’allais presque dire la seule au monde.

— Eh bien ! je le verrai à dîner, dit Ernest ; en attendant, puis-je espérer que vous voudrez bien m’accompagner à la Pliniana ? Je voudrais dire adieu à cette source limpide. »

Teresa, toujours enchantée de faire une excursion, consentit volontiers.

« Et moi aussi, maman, s’écria l’enfant ; et ma petite sœur ?

— Oh ! certainement, dit Maltravers répondant pour les parents. »

Ils furent tous bientôt prêts ; ils mirent au large, et, sous le ciel transparent et tiède (car le mois de novembre en Italie est aussi beau que le mois de septembre dans le Nord), ils traversèrent les eaux étincelantes du lac. Les enfants babillaient, et les grandes personnes parlaient de mille choses. Quelle charmante journée que cette dernière journée passée à Côme ! Car si les adieux de l’amitié ont, à la vérité, quelque chose de la mélancolie des adieux de l’amour, ils n’en ont pas l’angoisse. Peut-être serions-nous plus heureux si nous pouvions complétement nous défaire de l’amour. La vie en serait plus calme et plus heureuse. L’amitié, c’est le vin de l’existence ; mais l’amour en est l’alcool.

À leur retour, ils trouvèrent Castruccio assis sur la pelouse. Il ne parut pas aussi affligé du départ d’Ernest que Teresa s’y était attendue. Castruccio Cesarini était très-jaloux, et dans les derniers temps il avait été chagrin et mécontent de voir le plaisir que prenaient les de Montaigne à la société d’Ernest.

« Comment cela se fait-il ? se demandait-il souvent. Pourquoi la société de cet étranger leur plaît-elle plus que la mienne ? Mes idées sont aussi neuves, aussi originales ; j’ai autant de génie ; et pourtant mon beau-frère, qui est si froid, lui accorde du mérite, et prédit que ce sera un jour un homme remarquable : tandis que moi… Non !… on n’est jamais prophète dans son pays ! »

Malheureux jeune homme ! Son moral était envahi par les mauvaises herbes d’une poésie malsaine, et ces herbes para-